Jardin public

Publié le 03 mai 2011 par Adamante


Trouver l’harmonie dans un jardin public, pratiquer seule, faire la tête vide et entendre :

« ça va bien Madame ? »

C’est gentil, il s’inquiète. On répond :

« oui, ça va ! »

« Qu’est-ce que vous faites, du yoga ? »

C’est parti pour devenir une longue conversation.

Adieu exercices chéris prévus dans nature.

La nature ici, c’est deux rues de chaque côté et des bagnoles qui passent sans cesse, l’essence n’est pas encore assez chère. Voilà des mois que je ne sors plus la mienne que rarement, pour nous maintenir en forme l’une et l’autre.

Tant pis, je commence. Je lui dis que c’est du qi gong et c’est parti.

J’entends alors :

« vous avez appris ça où ? »

Je fais mine de ne pas avoir entendu, il marmonne et finit par se taire.

Je n’ai pas les bonnes chaussures, c’est gênant, mais je fais avec, la prochaine fois, je tacherais de penser à prendre mes chaussons.

C’est agréable de pratiquer à l’extérieur, le soleil est quand même un peu chaud, je commence à transpirer, le cœur s’accélère un peu, je calme le jeu. Des nuées de moucherons entourent les arbres. Dans le marronnier en fleurs des tourterelles roucoulent, c’est plaisant, mais toujours les voitures…

Il y a trois bancs ici, celui derrière lequel je pratique est au centre, j’y ai accroché mes affaires. Un autre type est venu se poser sur celui à ma gauche. Je suis entourée.

Une vingtaine de minutes plus tard, quand j’ai terminé, personne n’ose plus rien me demander. Je m’assieds et j’écris.

J’aurais préféré être seule, mais c’est un jardin public et tout compte fait ces voisins ne sont pas dérangeants. Ils sont jeunes, plus jeunes que moi c’est certain.

Comment peut-on rester assis si longtemps sans bouger ? Je me dis que la pratique me tient sacrément en forme et j’en ressens une satisfaction quelque peu stupide.

Le vent se décide à bouger. Merci pour cette caresse rafraîchissante, du coup les moucherons ont disparu, je sais que dès qu’il faiblira ils réapparaîtront.

J’aimerais bien apparaître et disparaître comme eux, mais je ne suis pas un moucheron, tant pis. Je me contente de noter ce que beaucoup ne remarqueront sans doute jamais et de rêver. Mes compagnons de banc ne sont pas des rigolos, penser ça me va bien.

Des gosses passent en piaillant. Le garçon a pris le jouet à la fille qui lui court après en riant. Ça fait du bien un peu de rires. Quand ils repassent, plus calmes, la fille a récupéré son jouet qu’elle tient dans les bras, ils discutent.

Le jeune du banc de droite fait un faux départ, passe devant moi, fait quelques mètres, se ravise, repasse, s’éloigne de l’autre côté, se ravise de nouveau, me regarde en biais, passe derrière comme pour emprunter la sente qui descend vers la rue et il finit par revenir s’asseoir sur son banc.

Son manège me donne envie de rire, je l’observe discrètement, il a vraiment l’air très jeune et de toute évidence il s’ennuie. Il n’a pas l’air d’un mauvais bougre, je me dis que j’aurais peut-être pu être plus aimable en répondant à ses questions, maintenant c’est trop tard, c’est comme pour la danse, quand on a loupé un pas c’est fichu. C’est ça la vie, c’est fait d’avancées, de reculs, de loupés.

C’est fait d’impressions passagères qui passent comme nous passons, sans faire de vagues, le quotidien quoi.

Je me lève, c’est bientôt l’heure du thé, je rentre.

Je passe devant le banc de mon compagnon d’infortune, il hésite, me sourit, se lève et me demande si je viens souvent faire du qi gong au jardin, si je peux lui apprendre à en faire, quand...

Bref, il insiste et il me propose même de me raccompagner...

Passé la surprise, par curiosité, je lui demande son âge, il me dit qu’il a presque 30 ans, presque... ça me laisse rêveuse.

Je le renvoie gentiment sur son banc et le quitte. En partant, je pense amusée qu’en effet, le qi gong, ça conserve.

©Adamante