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Des poèmes dans Arpa

Publié le 06 mai 2011 par Lauravanelcoytte

NAVIGATEUR SOLITAIRE
À présent, chaque mille que je naviguerai vers l’ouest
m’éloignera de tout. Pas le moindre signe
de vie : ni poissons, ni oiseaux, ni sirènes,
ni cafard zigzaguant sur la couverture.
Seulement l’eau et le ciel, l’horizon détruit,
la mer, qui chante toujours comme moi la même chanson.
Ni poissons, ni oiseaux, ni sirènes,
ni cette étrange conversation sur la sentine
que perçoit l’oreille aux heures de calme.
Seulement l’eau et le ciel, le roulis du temps.
La nuit, l’étoile Achernar apparaît sur la proue ;
entre les haubans, Aldébaran ; à tribord,
un peu plus haut que l’horizon,
le Bélier. Alors j’amène, je dors. Et le néant,
avec délicatesse, vient manger dans ma main.

Horacio Castillo (Arpa 99)

Elle chantait. Et c’était comme
la roche doit se réjouir
d’être pour l’eau ruisselante un passage
ou comme le cageot dans l’herbe
défend son coin
de lumière quand vient le soir
et l’écorce du sapin n’est plus
qu’une rose halte.
Tant, disait-elle, que cette joie
reconnaîtra son lieu en ma voix.

Judith Chavanne (Arpa 98)

 

CE QUE SEPTEMBRE DÉCLENCHE

Quand à la fin,
la peau trop gonflée,
d'un coup
le grain de l'été se déchire,
c'est le monde qui fait eau
et chacun par la déchirure
qui cherche à s'enfuir.

Toi non. Tu es toujours là
à aller le long de ton fleuve
goûtant une à une
les gouttes détachées
de sa trop longue et brûlante
journée.

Jean-Marc Sourdillon (Arpa 97)

LE MYSTÈRE DE LA BEAUTÉ
L’absolu s’est manifesté dans un verre
d’eau, quand le soleil est apparu derrière un nuage
et lui a donné un éclat inattendu dans le plus
gris des matins. Parfois, pense l’agnostique,
ce qui est invraisemblable naît d’une simple explication
logique comme si le hasard n’existait pas. Ce qu’il
fait, cependant, c’est se mettre à la place de l’homme
qui n’accepte pas que la beauté puisse naître de rien,
quand il découvre qu’il est à la frontière entre ce
qu’on sait et ce qu’on n’a pas même besoin de
comprendre. C’est pour ça que, en buvant l’eau, j’ai senti
l’éclat du matin me remplir l’âme, comme
si l’eau était plus qu’un liquide incolore
et inodore. Cependant, quand j’ai posé le verre vide,
que j’ai senti le manque de la lumière qui l’avait rempli, j’ai pensé :
comme elle est fragile cette petite beauté,
peut-être aurait-il mieux valu que je reste avec ma soif.

Nuno Júdice (Arpa 96)

(traduit par l'auteur et Yves Humann)

LE PROMENOIR MAGIQUE
la promenade au fond du parc
avait lieu les soirs de grand vent
c’était la guerre et le printemps
ne devait jamais revenir
cependant contre toute attente
nous étions heureux dans l’exil
et de ce bonheur déchirant
nous goûtions le sel dans nos larmes

Jean-Claude Pirotte (Arpa 95)

APRÈS L’ÉPIPHANIE
Les lumières des crèches
s’éteignent dans la ville.
Il ne reste que les miettes
clignotantes de l’étoile
tombée en mer et sur la terre :
le fanal d’un pêcheur,
minuscule entre deux vagues,
les phares dédoublés
sur l’asphalte humide
– et toi qui t’allumes
avec d’autres ici-bas
dans l’aube assombrie
où les nuages seuls
ont remplacé la nuit
pour indiquer l’enfant
à ceux qui le cherchent

LA TOURTERELLE
à Jean-MarcLe soleil de mars peine à réchauffer
le cœur de chaque chose.
La tourterelle seule en haut du noyer
reflète sa tendresse
comme si elle avait la lune dans la gorge.
Elle répond à notre place,
telle une sœur aînée,
en attendant le frisson de la pierre,
celui de la feuille à l’intérieur de l’arbre
et celui de l’homme, encore plus secret,
avec une tache de sang dans la voix :
c’est le consentement amoureux aux douleurs
de toute naissance,
au martyre dans les pays lointains,
aux sacrifices de la ménagère
qui l’écoute longuement
derrière sa vitre embuée à midi.

Jean-Pierre Lemaire (Arpa 94)

PRIÈRE

Mon Dieu ! si plus tard un jour je suis faible,
Si, perdant ma solitude aimée,
Je cède à mon désir de gloire
Et que de moi se détache ce qu’on appelle un livre, –
Mon Dieu ! que ce ne soit pas un livre de vacances, un livre de plage :
Un livre que des gens riches prennent pour passer le temps
Ou être au courant,
Mais qu’un jeune homme le soir en sa chambre solitaire
Le lise avec toute son âme,
Qu’ayant souffert tout le jour des gens trop bêtes
et de la vie trop rude,
Blessé dans sa chair et dans son cœur, –
Il me prenne, moi,
Comme la coquille où l’on entend la mer,
Pour le mener en la nuit heureuse
Où vous l’attendez.
Mon Dieu ! que ce jeune homme m’aime,
Qu’il ait le désir de me serrer les mains,
Qu’il m’appelle son ami, –
Qu’en lui il y ait joie !

Guillevic (Arpa 83)

(Strasbourg, 10/1/29)

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