mai 05, 2011
Critique de Bruno Deslot -
On tombe de haut !
Dans une semi-obscurité, une porte claque et semble se refermer sur la nuit du tombeau, celle dont les mots d’Edgar Allan Poe (1809-1849) évoquent avec une inquiétante étrangeté l’atmosphère oppressante de ses Histoires extraordinaires, dont Baudelaire (1821-1867) effectue la traduction de la plus populaire : La Chute de la maison Usher.
© Elisabeth Carecchio
La silhouette de Jean-Baptiste Verquin fend une épaisseur ombreuse pour dessiner les contours suggérés d’un personnage dont la narration est d’une exactitude exemplaire. Une voix fragile et déterminée à la fois, exaltée et prudente, emportée et passionnée, et toujours d’une extrême justesse accompagne le public vers ce manoir inquiétant, et si lointain avec une « insupportable tristesse » que dégage la “maison Usher”. Le texte nous parvient avec une évidence exceptionnelle, les talents de narrateur de Jean-Baptiste Verquin sont indéniables. Le manoir, cette “maison Usher” perdue dans les brumes épaisses d’une déambulation improbable, devient réelle même si on ne la verra jamais ! Elle est suggérée et incarne presque un personnage à elle seule grâce à une scénographie toute particulièrement intelligente, s’inscrivant dans une démarche artistique plurielle exigeante et de haute volée. La scénographie et les lumières d’Eric Soyer donnent à l’adaptation de texte de Poe (Sylvain Maurice), une atmosphère visuelle très sophistiquée, suggérant une ambiance de cauchemar que prémédite l’écriture de Poe. Seul, à l’avant de la scène, un rideau noir transparent habille le plateau pour permettre aux lumières d’investir l’espace et de cohabiter avec la vidéo, la musique (piano, guitare et saxophone) et les objets apparaissant sur l’aire de jeu comme dans un rêve.
Bon ou mauvais, ce rêve est orchestré par une lourde machinerie dans laquelle chacun trouve sa place de manière légitime. Chaque élément du spectacle joue à partie égale, le propos est toujours relayé par la musique, la vidéo, la narration… Sylvain Maurice propose ici une mise en scène saisissante d’un conte noir avec toutefois un regard enfantin. Dans cette mort imminente et omniprésente, il y a du désir, de l’envie, de la fantaisie même lorsque le maître d’hôtel sert le meilleur ami de Roderick Usher. Son jeu apporte un grain de folie à cette lente descente aux enfers lorsqu’il joue avec la soupière ou fait apparaître une louche de sa manche. Les effets sonores accompagnent ses gestes avec rythme et ironie.
© Elisabeth Carecchio
Tandis que la maison s’effrite lentement, le spectateur est pris dans les rets d’une lumière troublante, et assiste, déconcerté, à la lente et angoissante agonie de Madeline, sœur de Roderick cloîtrée dans la demeure familiale.
Placée devant le fond de scène sur lequel sont projetées des images de sang épais et mêlé, Jeanne Added (Madeline) enchaîne les parties chantées de ses interventions avec toujours plus de force dramatique, comme un appel au secours, l’ultime cri du désespoir. Fendant la brume épaisse de la “maison Usher”, elle esquisse des aigus perçants pour trahir une douleur sans cesse renouvelée. Prête pour la mise en bière, son corps est allongé sur un catafalque et comme en lévitation on croit voir La mort de la Vierge par Caravage ou le Petit Chaperon Rouge qui n’aurait pas échappée au loup. Les notes chaleureuses et jazzy du saxophone d’Alban Darche, accompagnent ou prennent le relais de celles de la guitare d’Alexis Therain ou bien celles de Nathalie Darche au piano avec lequel la voix de Jeanne Added joue en permanence dans un rapport presque filial.
L’ensemble de la proposition est d’une justesse incroyable et manifeste une parfaite maîtrise d’une création artistique pluridisciplinaire. Seul bémol, à aucun moment du spectacle il n’est fait référence à la relation incestueuse entre le frère et la sœur, même de manière suggérée.
Ce n’est qu’une fausse note que Sylvain Maurice saura rectifier avec beaucoup de talent dans sa partition.
La Chute de la Maison Usher
De : Edgar Allan Poe
Adaptation : Sylvain Maurice (librement inspirée de la traduction de Charles Baudelaire)
Texte et chansons : Laure Bonnet
Mise en scène : Sylvain Maurice
Composition musicale originale : Alban Darche
Avec : Jeanne Added (chant), Jean-Baptiste Verquin (jeu), Philippe Rodriguez-Jorda (jeu et animation d’objets), Nathalie Darche (piano), Alban Darche (saxophone), Alexis Therain (guitare)
Scénographie et lumières : Eric Soyer
Vidéo : Renaud Rubiano et Candice Milon
Son : François Leymarie
Costumes : Marie La Rocca
Jusqu’au 22 mai 2011
Maison de la Poésie
Passage Molière - 157 rue Saint-Martin - 75 003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com
http://unfauteuilpourlorchestre.com/2011/05/la-chute-de-l...