Un autre lecteur

Publié le 07 mai 2011 par Addiction2010

L’autre matin, c’était le lecteur du Figaro qui s’était imposé à mon regard. Les rames du métro parisien sont pleines de lecteurs le matin, et la plupart d’entre eux lisent ces journaux gratuits distribués, empilés, à l’entrée des stations. Aujourd’hui, c’est un homme installé sans souci des voisins, presque allongé sur son siège, laissant bien peu de place au malheureux voyageur assis face à lui. A son air satisfait, on le verrait bien exhiber le Figaro.



Mais la ressemblance s’arrête vite. Certes, il cherche à ressembler à l’autre et partage probablement son mépris pour ce qu’il pense être la populace. C’est pourtant « 20 minutes » qu’il a entre les mains. N’a-t-il pas eu le temps d’acheter l’organe officiel du parti ? Ce journal où les politiciens de droite sont toujours souriants et ceux de gauche arborent un air menaçant… Non, celui-là, c’est une feuille de chou rapidement ramassée, peut-être abandonnée par le précédent occupant du siège, qu’il parcourt de son œil si sérieux. En réalité, il n’est pas très semblable à l’autre lecteur. Celui est endimanché en pleine semaine, endimanché « Tati » pourrais-je dire. Son costume est gris, comme l’autre, mais il n’est pas d’une si bonne coupe, les boutons trahissent une importation de Chine et le passage par les rayons d’un hypermarché plutôt que les penderies d’une boutique de luxe. Celui-ci, comme l’autre, affiche son égoïsme suffisant. Lui aussi est membre de l’élite.



Que cherche-t-il dans ce journal là ? Je lisais moi aussi ces journaux, histoire de m’occuper pendant mes trajets quotidiens, mais ils m’ennuyaient : on n’y apprend rien, on croirait lire le prompteur d’un présentateur de journal télévisé de grande audience. Combien de mots sur une page de « 20 minutes » ? Moins que dans ce petit post sans doute. C’est très bien fait : il s’agit de capter l’attention de gens qui ont quelques minutes dont ils ne savent en réalité pas quoi faire. Quelques photos, quelques titres, des caractères pas trop petits mais bien moins grands que ceux des publicités et surtout, peu de mots, et encore moins de mots compliqués, deux syllabes c’est bien assez. Et encore, ce journal là n’est pas le pire de sa catégorie.



Mon lecteur s’étire, comme si ses jambes n’étaient pas déjà bien assez étalées. Cherche-t-il délibérément à gêner son voisin ? La lecture de ce journal n’arrive pas à le captiver, on sent qu’il s’en lasse déjà. Tiens, voilà qu’il le replie, puis le roule. Sans doute le glissera-t-il en sortant entre deux sièges, à moins qu’il ne le destine à la poubelle la plus proche. Il a parcouru les quelques pages de la feuille de chou, n’y a rien appris, ne s’est guère distrait, mais il a passé le temps.



Ah le temps… Il faut le perdre, le faire passer. Et chaque minute passée, perdu, nous rapproche néanmoins de l’inéluctable destin commun aux lecteurs du Figaro, de 20 minutes ou des romans maudits.

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