... ces derniers jours, parmi des milliers de choses pas intéressantes, une belle phrase dont je me suis délectée. Je l’ai oubliée, ce qui est une tragédie, à l’aune du cadre minuscule de ma vie, bien sûr.
Je crains que ces mots ne ressurgissent tôt ou tard, car je ne les ai pas seulement oubliés, je les ai remâchés et digérés jusqu’à absorption complète. Evidemment, ils sont là, quelque part. Je redoute de les voir venir sous une plume que je croirais la mienne mais suis-je bête, quelle importance, au fond, je n’écris pas !
Ils étaient beaux pourtant. Je n’arrive pas à me souvenir de leur exacte disposition ni sur le papier abstrait ni sur la langue, mais elle a été une sorte d’épiphanie, rapprochement inattendu et presque délicat, ourlé, de deux notions que je n’aurais pas mariées, de syllabes longues éclatant sous la dent, parce que d’une procédait l’autre et non l’inverse, parce que je l’entendais, ce dialogue intime de deux mots nous ignorant absolument, nous auditeurs. Et soudain, tout m’est apparu clairement. Tout, y compris la vanité de ma propre émotion fulgurante. Je les ai oubliés, ces quelques mots entendus dans un océan de médiocrité, je les ai oubliés alors que je tentais si fort de les retenir, et presque, j’ai écrit cent fois ce qu’en gardais de sons enfuis. Mais je l’aurais fait mille fois que rien n’aurait pu me les faire entendre. Car exceptionnellement, oui, exceptionnellement ce n’était pas eux, les mots qui éclataient à ma conscience. C’était la voix qui les portait. Peut-être aurais-je dû stopper le temps. Peut-être devrais-je écrire, peut-être suis-je en train d’écrire que tout à coup, pendant une minuscule fenêtre de ma vie j’ai entendu d’abord le son avant de ressentir les motq. Alors quoi, finalement, quoi, si sans les mots qu’elle prononçait je n’arrive pas non plus à faire revivre la voix elle-même. Quelle raison à tout ceci, à mon épiphanie ? Je les ai oubliés, ces mots qui après tout n’étaient peut-être pas si beaux, en fait, je crois que je sais qu’ils n’étaient qu’ordinaires, ou alors je veux le croire, ou ils le furent dès que je les répétais pour moi et moi seul. Et il me fallait oublier, n’est-ce-pas, car si les mots ne s’incarnent pas, qu’en est-il de nous tous ? Je perds notre foi.