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8 mai 1972 | Cristina Campo, Lettre à Mita

Publié le 08 mai 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

Je vous ai parlé il y a environ un an, d'épreuves angoissantes.
Ph., G.AdC

8 mai 1972

  Ma chérie,

  ce mystère du silence entre nous, je ne me l’explique pas et ne me l’expliquerai jamais… Je ne compte plus les fois où j’ai commencé de vous écrire ; où je vous ai écrit mentalement de très longues lettres, complètes jusqu’aux dernières virgules. Il y a quelque chose de plus fort que nous, que nous devons accepter, je crois — s’il est vrai que ce n’est qu’en acceptant quelque chose qu’on peut le modifier. Et tout cela doit être modifié.
  Il arrive parfois que la force de l’imagination parvienne à me convaincre que je vous ai vraiment écrit. Comme pour ces fêtes de Pâques. Alors que d’après votre dernière lettre il est clair que je ne vous ai pas écrit. Que vous dire maintenant, chérie ? Votre lettre me serre le cœur. Je ne vois qu’un mot : abandon. « Le sentiment de ne pas arriver à tenir les choses dans la main » — est vraiment un sentiment terrible ; mais peut-être est-il possible qu’il le soit moins si nous nous rappelons que les choses sont toujours entre d’autres mains, que les plans se font toujours ailleurs. « Moi je ne connais pas le chemin, mais toi tu le connais » est le seul raisonnement possible quand on marche dans le noir. Il y a un mois ma chatte Paki-Paki a eu quatre chatons ; et moi je voudrais apprendre d’eux le merveilleux abandon avec lequel, petits, désarmés, incapables de tout, ils se laissent prendre par moi, soulever dans de terribles déserts (la cuisine ou la terrasse), manipuler de cent façons… C’est le secret de leur force et aussi de ma tendresse — comment ne pas les traiter avec d’immenses égards. Peut-être cette aveugle, cette téméraire confiance nous est-elle demandée à nous tous.
  Je vous dis cela parce que moi aussi j’en ai besoin, peut-être plus que vous en ce moment. Je vous ai parlé, il y a environ un an, d’épreuves angoissantes. Elles ne sont pas finies, loin de là. Et certaines fois — comme en ce moment — je meurs littéralement de peur, tel un petit chat brusquement soulevé sur une très haute épaule. Que faire ? Rien. Celui qui me soulève ainsi sait ce qu’il fait. Donc le laisser faire… C’est immensément difficile, mais c’est la seule chose qui ait un sens. […]

Cristina Campo, Lettre 214 (extrait), Lettres à Mita, L’Arpenteur, Éditions Gallimard, 2006, pp. 322-323. Postface de Margherita Pieracci Harwell. Traduit de l’italien par Monique Baccelli.



CRISTINA CAMPO

Portrait de Cristina Campo

Image, G.AdC

■ Cristina Campo
sur Terres de femmes

→ 29 avril 1923 | Naissance de Cristina Campo
→ Sindbad (extrait du Tigre Absence)
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Cristina Campo (+ un extrait des Impardonnables)
→ 17 septembre 1883 | Naissance de William Carlos Williams (extrait des Impardonnables de Cristina Campo)

■ Voir aussi ▼

le site Cristina Campo, site (en italien) créé par Arturo Donati
→ (sur le site du Matricule des Anges) Lettres à Mita (article de Richard Blin, paru dans le N° 072, avril 2006)
→ (sur le site de la Revue Nunc) « Cristina Campo, mystique absolue, ou la recherche de la sprezzatura », par Réginald Gaillard
→ (sur Lettre(s) de la Magdelaine de Ronald Klapka) Cristina Campo, sotto vero nome : sprezzatura (8 mars 2006)
→ (dans Le Monde du 3 mars 2006) Les incendies d'une mystique, par René de Ceccatty [Word, .docx]



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