Le lecteur épinglé

Publié le 13 mai 2011 par Lauravanelcoytte

LE MONDE DES LIVRES | 12.05.11 | 12h29

À bord d'une Jaguar, Lo et son père traversent un paysage désolé et pourrissant, en lisière de la ville, près du fleuve, au bord de Darling River - car tous les amants s'appellent "Darling" comme un fleuve d'Alaska. Un beau nom amer, comme ces routes plantées de prostituées, leurs parfums et leurs étreintes. Comme la coulure sucrée d'un gâteau éventré. Lo aime et rêve, grandit et se détruit. Elle devient répugnante : "Mon corps s'était métamorphosé en un caveau contenant l'enfant."


Lo est Dolorès - Lolita. La jeune fille prise dans la pince du désir masculin. Celle de Nabokov : "Mon père était passionné par un écrivain russe en exil, par ailleurs collectionneur de papillons." Celle dont on croise l'ombre vieillie en Alaska : "Ici, le froid représente tout. Le froid et le sexe." Mais pas seulement. Lo est cette autre qui hante les marges du roman, mère sans son enfant. Et Esther, jeune femelle chimpanzé au Jardin des plantes.

Lo est Dolorès, beaucoup de Lolita en elle, et pourtant pas tant que cela. Et Lo est Lol - dolor - comme chez Duras. Comme la douleur ou l'absence. Lo est un coeur vivant et se décomposant au centre du fantastique roman en mille poèmes de Sara Stridsberg. Si frais et si naturel, un coeur qui attire et dévore tout autour d'elle. Le lecteur est pris dans cette fine pellicule de l'amour et de la chair. Prisonnier de ses refuges sombres, de ses secrets, de ses replis. Epinglé comme un papillon au-dessus de la Darling River - et il est bien plus joli comme cela.


Darling River (Darling River - Doloresvariationner), de Sara Stridsberg, traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud, Stock, "La Cosmopolite", 346 p., 20,50 €.

Nils C. Ahl

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