Bon, c'est mieux si on s'intéresse aux lectures des autres, qu'on discutent, qu'on échangent ! Mais soyons réaliste, cette famille-là doit souvent s'entretuer !
Parce qu'entre le bon père de famille moustachu et chauve qui lit L'Intransigeant (journal anti-dreayfusard), la fille qui lit L'Aurore (fondé en 1897 par un licencié du précédent journal et déjà dreyfusard à l'époque, célèbre pour le J'accuse de Zola -titre trouvé par Clémenceau et non par Zola lui-même) et enfin, sans doute le fils (ou le mari) qui lit Le Libertaire connu pour ses positions anarchistes... Les dîners de famille devaient être mouvementé !
Mais en attendant, tout ce petit monde lit sagement, ensemble, dans la même pièce. Ce qui montre que la lecture, même en groupe, reste solitaire.
Gravure réalisée par Félix Vallotton (essentiellement connu pour ses gravures et portraits de personnalités croqués en à peine quelques traits) qui a fait parti du mouvement Nabi. Le détail y est poussé à l'extrême : c'est l'heure du thé, chacun a repris soigneusement sa place et lit selon ses opinions. Peut-être nous pouvons imaginer une scène de cris et de batailles peu avant...ou peu après. Mais pour l'instant tout est calme. Ce qui est une évocation d'autant plus frappante : ces gens sont normaux, une famille paisible et pourtant, en elle gronde ce qui gronde partout en France : il faut choisir son camp dans cette affaire ! Et ne pas avoir d'avis reviens à avoir les deux camps contre soi !
1899 nous sommes en pleine Affaire Dreyfus : ce capitaine d'armée de religion juive qui avait été accusé à tord d'espionnage et de haute trahison, dégradé et condamné à la déportation à Cayenne (pas au bagne, non, à l'enfermement dans une enceinte fortifiée : en gros, il part dans un pays lointain pour être emprisonné à vie.) Cela se passe en 1895 et tout le monde trouve cela normal. Ce n'est que plus tard, que les doutes surviendront. Finalement, en 1906, Dreyfus sera acquité (reconnu innocent) et reviendra finir sa vie en France.
Cette scène, se passe début 1899. Comment je le sais ? Parce que Le Libertaire cessera de paraître à partir de février 1899 jusqu'en décembre ! De plus, on peut lire le titre de L'Intransigeant : il s'agit de celui du 1er février 1899 (à consulter ici si vous le souhaitez Merci Gallica), par contre, je n'ai pas pu remettre la main sur l'exemplaire de L'Aurore ayant le titre "La France en révolte/révolution" (j'ai cherché janvier/février, je suis même retombée sur L'Aurore du 17 février 1899 (M.Félix Faure est mort subitement, hier soir, à dix heures. à lire juste pour vous le rappeler ;) ), mais sur aucun qui fasse référence à une révolte de la France (des émeutes, ou des manifestations oui par contre). Il s'agit peut-être d'un ancien exemplaire (ces trois journaux étaient des quotidiens, ils paraissaient tous les jours... ce qui fait quand même 365x3x2 (si je ne me contente pas de 1899, et que je remonte à 1898 !) un peu trop pour moi !
Mais peut-être est-ce tout simplement un titre imaginaire, répondant à L'Agonie de L'Intransigeant... une sorte de vision philosophie : la vieille droite réac est en train de mourir, car les jeunes se révoltent, voire crient à l'anarchisme ! Bon, c'est peut-être pousser un peu trop loin la réflexion... Alors j'arrête-là !