Sur Une femme sous influence de John Cassavetes
Qui est fou et qu’est-ce que la folie ? Comment vivre une vie « normée » par les codes familiaux et sociaux sans devenir dingue ? Y a-t-il un équilibre possible entre ce qu’on peut dire une vie poétique, intense et belle, où il y ait place pour la beauté et la bonté, la créativité et les échappées de l’amour, et une existence quotidienne dite ordinaire ?
Telles sont les questions, entre autres, que pose ce film toujours aussi extraordinairement vif, tendre, socialement percutant, psychologiquement pertinent et artistiquement accompli dans son mélange de simplicité et de beauté brute, que représente Une femme sous influence de John Cassavetes, réalisé en 1974, qui valut un Golden Globe de la meilleure actrice à Gena Rowlands et nous rappelle quel grand comédien est aussi Peter Falk dont on sourit en passant des quelques tics familiers à un certain inspecteur Columbo...
Ce qu’il y a peut-être de plus fou dans Une femme sous influence, c’est sa sagesse et son humanité profonde. À peu près à la même époque, une autre forme d’hystérie déchirait le couple de Taylor et Burton dans un film tiré d’une pièce d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ? Or, cet épisode de la guerre des sexes ne laisse en mémoire qu’une brûlure acide, d’une douleur noire, tandis que le film de Cassavetes, sans édulcoration pour autant ni happy end, inscrit chaque implosion – qu’on dirait aujourd’hui pétage de plomb – dans un contexte nuancé par la présence de la famille, des potes ouvriers de Nick, des enfants surtout, sous le signe de l'amour.
Ce film est d'abord un merveilleux portrait de femme sensible, à la fois bonne fille pas snob et bonne mère, à laquelle Gena Rowlands donne toutes les nuances de la malice et de la naïveté feinte ou réelle, du besoin de fantaisie et de tendresse, autant que des capacités de s’occuper de la maison et des mômes de façon conséquente. Dès le début on la sent au bord d’un gouffre, autant que son jules accablé de travail sur ses chantiers, en contremaître souvent retenu la nuit. Ils se sont d’ailleurs trouvés, et mutuellement élus, sur un fond de douce folie, plus radical chez elle il est vrai – probablement lié à une réelle faiblesse nerveuse. Or, la mère de Nick, qui n’a jamais encaissé le rapt de son fils par cette femme « bizarre », fera la décision pour son enfermement en institution psychiatrique, avec l’aide du médecin de famille – pouvoirs conjoints, auquel s’allie celui du Pater familias accumulant les gestes « tout faux » malgré sa nature naturelle et pour mieux se conformer à l’image qu’il se fait du chef.