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À quoi correspond l’obsession de la nudité ? Je me le demande. Et qu’est-ce que la pudeur ? Est-ce affaire d’éducation, ou s’agit-il d’autre chose ?
Dans notre famille, notre grand-mère maternelle Louise, née Wuillemin, figure typique du puritanisme protestant vaudois, incarnait cette peur, voire ce dégoût envers toute forme de sexualité explicite que la nudité représente par excellence, avec des formules que je me rappelle comme autant de mises en garde modulant sa pruderie, entre le «cache-moi ça !», le « veux-tu te taire » et autres « ce ne sont pas des choses dont on parle ! »
Mais à quoi correspondait cette phobie elle-même ? N’était-elle pas, simplement, le revers de la même obsession ? C’est ce qu’on pourrait penser maintenant en assistant aux débats et autres combats entre libertins (ou prétendus tels) et pudibonds. Tout cela que le bon sens populaire, chrétien ou païen, relativise évidemment comme de tout temps…
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Questions à poser à une soirée chic aux gens qui se disent libérés: comment vivez-vous ce qu’on appelle un épanouissement sexuel digne de ce nom ? Oserez-vous en parler ce soir devant les Duport et les Moser ? Pourrez-vous en parler sans gêne et sans ricaner ? Et vos enfants se mêlent-ils à vos conversations à ce propos lors de vos barbecues ? Vos enfants vous ont-ils raconté leurs expériences hétéros ou homosexuelles ? Ainsi de suite, dans le genre des questionnaires à la Max Frisch…
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Ce que je ressens de la peinture se résume essentiellement à cette formule : ce que je vois me regarde. Cela m’a pris vers quatorze ans avec Utrillo, dont les rues hivernales, les murs décatis, le décor de théâtre désolé à petites silhouettes noires, le dôme vaguement oriental du Sacré-Cœur et les arbres décharnés, me regardaient et me parlaient, pour ainsi dire, mélancoliquement ; et de là me vient aussi le goût de certaines couleurs alliées, à commencer par un certain vert et un certain gris, la base fatale d’un certain blanc cireux (chez Courbet aussi, ou chez Vlaminck) et les bleus froids comme la douleur de solitude, enfin les rouges et les oranges de la sensualité dont le feu prend dans l’autoportrait de Munch découvert tant d’années après…
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À Propos de Francis Bacon, Philippe Sollers écrit quelque part que cette peinture nous atteint « direct au système nerveux », et c’est à la fois une affaire d’intensité de la couleur et de trouble plus profond lié à ce que le peintre appelle la flaque, à savoir le portrait caché de ce qu’il montre quand il montre un homme, un chien ou un pape. Tout cela follement pulsionnel et fusionnel quant au matériau et à la forme (Zamoyski pourrait ici parler de forme pure, il me semble), électriquement diffus et cependant hyper-précis et conduit par la gueule de la Ligne, si l’on peut dire. Ceci dit pour la part dionysiaque de la peinture, Cézanne représentant essentiellement (à mes yeux du moins) la part apollinienne, sauf dans quelques toiles assez chaudes du tout début.
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La seule pensée qui me touche est en somme la pensée émue ou la pensée émouvante, non du tout au sens sentimental ou même affectif, mais au sens d’une émouvante beauté de l’idée surgie, que je dirai d’un ordre échappant à la psychologie mais pas aux affects universels qui font accéder à la pensée le cinéma japonais ou la poésie t’ang, la musique baroque ou le blues et le rythm’n’blues, ainsi de suite, dans l’esprit panoptique de Merleau- Ponty ou de Sloterdijk.
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À vrai dire on oppose trop confortablement érotisme et pornographie, comme si le premier était a priori plus admissible et la seconde forcément « inappropriée », pour user du langage moralisant des temps qui courent.
Or ce n’est pas du tout mon sentiment. En littérature, l’appellation érotique m’a toujours paru bourgeoisement ou petite-bourgeoisement hypocrite, même dans le rayon spécialisé, tandis que la franche pornographie (disons l’érotisme explicite d’un Sade, d’un Bataille ou d’un Genet) me paraissait plus naturellement franche et saine (ou malsaine et tordue, quelle importance ?), étant entendu que le véritable érotisme dépasse absolument ces catégories en contaminant toutes la réalité par effusion radieuse et bandaison polymorphe où tout acquiert, par le verbe ou la mélodie, la forme et les sens multiples, du fruit et de la bête…