Magazine Journal intime

Sohnsaad

Publié le 17 mai 2011 par Thywanek
Sohnsaad avait dû penser que semblable chose put arriver. Pas tant parce qu’il en avait lu tant des récits imaginaires dans tant de livres de contes. Non plus grâce aux films qu’il préférait, où des histoires vaines de sentimentalisme irritant baignaient dans des atmosphères fantasques et déglinguées, dressant les décors d’un futur gris sale, vert livide et jaune crasseux comme des fortins de boucan vigile entre deux guerres jamais évitées. Et pas davantage parce que sa nature, à Sohnsaad, n’avait su se développer que dans le terreau mental dont il transpirait tous les relents d’humidité tiède, de feuillage mort dans la pluie, de soleil bas aux éclats pulvérulents, de pierre au salpêtre, et d’insectes mouillés et grouillants.
Les états du passé quel qu'il ait été ou quel qu'il aurait pu être, ressemblent à des grandes pelisses disposées les une à côté des autres, presque bords à bords, sous lesquelles reposent d'un sommeil sournois, accablés, parfois grinçant, rarement paisible, fréquemment agité par dessous le sol qui les tient, des paysages intérieurs où courent sans fin et sans but des silhouettes indéfinissables dont le sort est jeté de devoir vainement les retrouver.
Que semblable chose put arriver. Oui. Mais il s’était aussi tellement habitué à déléguer à son autre monde les avatars que le réel produisait tout en parvenant à n’en contenir aucun, dans un réflexe, né d’un conditionnement très ancien et salutaire, de préservation opiniâtre, afin de toujours faire décemment partie de la famille des humains, et remplissant ainsi l’infini virtuel dont l’accès lui était aussi commun que pour d’autres d’aller chercher leur pain à la boulangerie ou de faire ressemeler leurs chaussures chez un cordonnier, et dont l’empire souterrain dissimulait à autrui les quantités de tristesse et de terreur à partir de quoi son énergie vitale persistait à maintenir en situation de fonctionner son existence aberrante.
Une des voie les plus surprenantes qu’avait empruntée son habitude, son réflexe, sillonnait, s’était depuis un temps incertain mise à sillonner, son ciel, un plafond de tourbe fourmillant de grappes d’yeux fluorescents de la taille de têtes d’épingles. Des yeux qui le captaient, au début, puis au fur et à mesure que grossissait leur nombre, des yeux qui le capturaient. Des yeux qui faisaient perler sur lui, autour de lui, des filaments ondulants à la densité changeante, dont le réseau s’épaississait quelquefois et s'atténuait durant de longs moments. Ainsi variait alors sous ce toit de terre marine une clarté de méduse moirée de mauves pâles, de bleus gazeux, de gris veineux.
Il n’avait rien tenté contre ça. C’était une matrice retournée du monde dont les attentions tactiles mangeaient le sien et le nourrissaient d’un autre dont il ne percevait que les constellations urbaines, les résilles géographiques, et les essaims en amas ou en désordre qui peuplaient des étendues comme un entre-deux eaux, et lui semblaient le plus souvent des lignes affolées de pixels buggants sur un rouleau sans fin dévidant sans objet un parchemin sans histoire.
Pour autant qu’on l’eut croisé déambulant hors de chez lui, de son habitat et de son avers, divaguant d’une complexe allure de plomb maigre, cosmonaute sorti de sa capsule, on eut bien remarqué, soie de lait fine et tendue, sa peau sur son visage, et juste dessous un multiple vers sanguin qui hantait silencieusement, affleurant aux tempes et au front, plongeant dans le creux des joues, tenant à lui seul comme une treille magnétique une matière mutante, une gelée sensible aux résonances ultrasoniques.
Il ne répondait plus. Il était devenu non-répondant. De même sans question. Des diffractions. Un découplage. Un bouquet de distorsions. Des obstacles d’air mareyeurs aux sensations atomisées. Des bourdonnements dépliées à perte de tout sens sur des pentes de lavoir où les sentiments se décoloraient. Il n’eut qu’à admettre de délaisser.
A façonner les vidanges des superflus.
Vivant bel et bien là.
Il s’installait à la console de verre et jouait sur les lames avec des petites mailloches de soie, des stylets d’or ou juste avec ses ongles, frappant les notes en vives suites de chiquenaudes. Il sondait un cri dans une faille. Une très ancienne et très solitaire apparition d’un appel fortuit, dont le nom d’appel abusait, que la fortuité qualifiait de trop. Une seconde au possible précis d’avant l’idée de tout autre. Malgré le nombre assaillant, condamné à se dépasser et à se supprimer. En dépit de l’incongruité du visage étrange qui n’avait jamais été le sien, regards et rictus, étonnement, douleur, commisération, ou alors si, mais c’était demeuré inenvisageable à quelque rencontre. Ou alors si, mais ça n’aurait pas pu suffire. Ou alors très vite il aurait fallu se tromper.
Il allait dans la rue pourtant. Dans d’autres logis. Il parvint même à faire un voyage en avion. Il allait à l’épicerie. Il achetait des fleurs. Il regardait des gens. Mais de moins en moins. Allant progressivement d’une fluidité indifférente.
La dureté des contraires le harcelait. Afin de s’opposer à cette antique fatalité était apparue en lui la visée singulière de se défaire du meuble mouvant dont il se sentait tributaire, comme d’une poche inutile contenant ce qui ne lui appartiendrait à aucun vrai moment où il en puisse user, ayant la douceur intelligente et la force émouvante désormais indispensable. Abolir les parois.
Venir à quoi se diluer. Une virgule partout faisait défaut à des essoufflements inclus en séries dans des lignes compulsives de transports. Un chiffre, seul, anodin, détournait des pluriels décomposés. Des lettres se vidaient en champs de points glissant d’un liquide agité dans des charpentes de conduits aux circulations percluses.
Venir venimeux troubler le corps hydresque d’une échappatoire commune à toute absence d'un courage laminé en sa puissance par les routines forcenées.
Ombre émancipée. Ombre au devant de soi. Pressée par un jour levant. Un jour peu importe poussant sa roue profitable au maître gré des compresseurs.
C’était si peu d’être là, Sohnsaad. Si peu. A part peut-être la désolation.
Tentation où il avait assimilé avec des tribus de hasard le cristal voyant des horizons dérobés, et sur les murs claqués de basses tectoniques, plaqués de flaques aux chromes fractales, vu le noir dessin de son projet sans cause perdre les contours auxquels il était jusque là supposé tenir et se dissoudre, coton ondoyant en sinuosités qui dissolvaient en les détachant par de méticuleux écorchements des tissus superposés sur une unité originaire apparemment anéantie. Les habits immémorables d'une espèce aux boursouflures vouées, de toute manière, à un vital dessèchement.
Tout extérieur, ordinaire, froidement d'un ordre insouciant, pointait une audace inusable. Un banc avec son mort greffé d'un jour de plus. Un moteur, trait de fer flétrissant le moindre charme perfusé. Une poignée d'errants fiévreux autour d'un feu sauvage. Du commis propulsé le nez hameçonné d'appâts, mouches mordorées aux noms de fétiches. Des rendez-vous partout en foule de miettes balayées, ramassées, renversées, piétinées, recueillies, jetées jour après jour, débris d'un mur inexpugnable, intraversable, presque jusqu'aux derniers instants. Un mioche avec sa faim enflée d'un jour de moins.
Sohnsaad n'était pas né. C'est du moins ce qu'au plus près, c'est à dire encore si éloigné de son soupirant ballottement de foire orageuse chuchotant d'une douceureuse contine de barbarie, on pouvait sentir. Ressentir. Et l'escapade avait, logique naïve de n'être pas, insinué dans son esprit déguisé, un fil vierge. Un long et fin soupir de voix, l'emplissant de ses entrelacs, et où s'était comme dans une nature primitive des choses, tel que les éléments incertains d'une native prémisse s'ignorent et se touchent au hasard, là où nulle conscience n'a pu être présente, frottés, contactés, à peine mêlés, aux ondes lactées de la matrice intime, imprimée de toute l'incalculable expansion de la vie inhabitée.
Que semblable chose put arriver. Parce que de toute façon, absolument de toute façon, devenir. Et nul, nulle part, qui soit capable d'en dire. Quoique ce soit. Que seule une invention insoupçonnée pourrait, on ne sait quand, en rapporter quelque chose.
Dégagé de toute initiative, Sohnsaad. Rétracté en un millième de rien, une incandescence, volée de cendre à trace de pollen. Un volt précipité, lueur d'une membrane clignant une seule fois dans l'atmosphère revenue à sa tranquillité apparente. Fin d'une peur, où ne serait-ce qu'une inquiétude, de passer, de repasser, par une sorte de rien.
Fin de l'extension d'être : les fourmillements dans les bras, dans les jambes, les remous dans l'abdomen, les soudures dans les reins, les arythmies dans leur cage, les aridités du souffle, et toutes les proies des pensées aux costumes prévus et aux dévoilements intenables.
Retourner, réduit, délesté, décortiqué, au lieu d'une attente insue, dans l'éclatement de bogue mure d'un hiatus, sans encore ce qui précède l'idée peut-être éternellement isolée d'aimer. Seule promesse valable à des astres, des ténèbres ardentes, aux questions dont se pleurent tant les réponses arrangées que celles qui ont appris, et dans quelles terribles conditions, tant de fois.
Chez lui, où il habitait, comme on dit pour de vrai, dans l’immense immeuble où des voisins le croisaient, bien que rarement, on ne l’y trouva un jour plus. Depuis quand fut la question la plus insoluble. Plusieurs jours sans doute, des semaines qui sait. L’inspectrice de police, chargée de l’enquête ne trouva aucun indice précis d’un matin ou d’un soir où Sohnsaad serait parti et où on ne l'aurait plus vu. Pas davantage l’inventaire des vêtements dans le placard que le chiche contenu du frigo ou une date figurant sur un des papiers griffonnés qui s’amassaient en tas divers sur une table de travail ne permit d’accéder à une indication précise.
Il y avait bien cette odeur nitreuse qui stagnait.
Il y avait bien un sofa qui paraissait avoir gardé dans son velours jaune le creux étroit d’une forme qui s’y était tenue, si mince en outre qu’on était surpris qu’elle fut aussi marquée.
Un écran d'ordinateur avec un fond grisâtre derrière lequel on ne put récupérer aucune information.
On apprit plus tard, beaucoup plus tard d'ailleurs que l'enquête avait conclu à une simple disparition.
Rien de plus.

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