Encore un article sur Melissmell ! Mais rassures-toi pauvre lecteur ambulant, ça sera le dernier (enfin un des derniers). Je tiens par contre à te conter l’itinéraire d’une amitié entre une artiste et un paumé, et si tu t’endors ben tant pis…
Les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie
Et se font boire le sang de leurs visions perdues
Et dans leurs yeux mescal masquant leur nostalgie
Ils voient se dérouler la fin d’une inconnue
Ils voient des rois fantômes sur des flippers en ruine
Crachant l’amour-folie de leurs nuits-métropoles
Anatole France disait «Les grandes œuvres de ce monde ont toujours été accomplies par des fous». J’ai toujours été attirer par les gens fous, bizarres, extravagants, excentriques, … mais surtout différents parce qu’ils avaient tellement de choses à apporter, et que mine de rien ils n’étaient pas lassants.
« Certains ne deviennent jamais fous… Leurs vies doivent être bien ennuyeuses»
Je me suis laissé bercer avec la musicalité de ces gens-là, ils me parlaient et me comprenaient : de l’excentrique Bowie, en passant par le torturé Elliott Smith et Antony & The Johnsons (bien plus tard). Et dans les français ? Y en a eu plein aussi. Daniel Darc, Alain Pacadis, Miossec, … Et un jour, au hasard de mes évasions myspaciennes, je suis tombé sur le texte d’une inconnue. Des mots brodés entre eux, une poésie sincère « A son étoile« . Aussitôt, mon cœur s’est emballé et mes yeux sont devenus grands ouverts. Noir Désir était en stand-by, Saez venait de sortir Debbie, Mano m’avait déçu avec ses Animals et je me retrouvais à remettre en boucle Les yeux de ma mère d’Arno. Dans tout cela, il n’y avait aucune figure féminine jusqu’à ce que je tombe sur elle. (Barbara, ça ne compte pas, elle est hors concours!)
Itinéraire d’une amitié
Je suis parti écouter sa musique, on était en fin 2005. J’ai suivi son parcours, les petits morceaux qu’elle mettait sur son myspace. J’ai finalement commandé son album en 3 exemplaires pour des amis mélomanes, elle m’en avait envoyé 10… Quelle générosité! Décollage immédiat, j’étais sous le charme dès que j’aie fait valser son album avec ma platine mais il m’en avait fallu deux autres années pour oser lui parler. Mars 2008, j’ai sauté le pas. J’ai proposé à Melissmell de faire une interview avec elle et je ne m’étais pas trompé. C’était une personne comme toi et moi (enfin surtout pas moi), sincère, mélomane, la rage au ventre et qui s’accrochait à sa bouée comme elle pouvait histoire de ne pas couler avec son rêve. « J’ai la mort au couteau, sous la gorge un hamster », me disait-elle. Cette phrase s’est ancrée en moi, je la sortais quand j’avais la rage au ventre ou juste pour dessiner un sourire sur le visage de quelqu’un.
Assoiffé de nouvelles pépites à découvrir, je me suis retrouvé à écouter « Aux Armes » à l’été de la même année. Une sensation bizarre était en moi : Cet hymne, cette voix, je les connaissais. Je pensais les avoir enterrés, oubliés, et elle est venue me réveiller de mon coma. Je ne suis pas courageux, j’ai juste les idées en travers ! Je n’allais pas sortir, cap sur le dos, me battre contre des moulins à vent. Je n’étais pas un rebelle ni un marginal non plus, mais la rage était encore présente. Je m’évadais avec sa musique en me disant « Ah, enfin, elle pense comme moi… sauf qu’elle, elle a des couilles».
Melissmell se battait contre des moulins à vent et contre d’autres fantômes. C’est une chanteuse à tripes, viscéral qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elle appartient au monde des tragédiens mais ce n’était pas encore son heure, et puis elle avait un rêve à réaliser, un message à faire passer, et de l’amour à partager.
« Je réalise une partie de mes rêves, j’en reviens pas, tout arrive. J’ai encore plus d’espoir pour la suite, tu sais Simo c’était tellement perdu!! ». Le 26 juillet 2008, la bonne nouvelle m’avait collé un sourire au visage. Un éditeur, un producteur, un tourneur et une équipe de killeur ! Le rêve était en marche, la parade des enfants de la crise traçait sa route.
Je revenais de deux concerts mémorables de Saez à Sète et Arles. Entre les fragments de mélodies d’un écorché pleurant son amour et une talentueuse artiste à qui sa bonne étoile vient de lui accorder ce qu’elle demandait, j’étais aux anges.
Essayez, faites un vœu,
Car l’espoir est dans les cieux…
Quand on prie la bonne étoile et la fée bleue…
Comme dans un disney, la vie était belle ! Plus les jours passaient et plus j’y croyais qu’elle ira loin cette artiste. Je ne l’appelais pas Mell ou la faiseuse de rêves, mais juste « l’Artiste » avec un grand A, peut-être par respect ou par timidité. Aussi, je me disais que de toutes les manières, elle fera son chemin et moi le mien et que son nom va me rappeler qu’à une époque, j’y croyais en l’homme…
Mais voilà, elle n’était pas comme tout le monde et surtout y avait certains points en commun que je ne pouvais pas passer à coté. On avait parlé pendant des semaines sur l’Irlande, pas parce qu’elle allait réaliser un rêve de gosse en faisant cap vers ce beau pays, mais plus parce que j’étais dans ma période Damien Rice & autres mélancoliques irlandais.
Une analyse de l’aventure (et la séparation) de Damien Rice et Lisa Hannigan, un sourire amer partagé sur le fait que Cheers Darlin’ nous faisait frissonner la chair. Tout en restant dans l’univers irlandais, on a longtemps discuté sur notre dernier coup de coeur : le film Once. Cette belle histoire d’amour impressionante entre Glen Hansard et Markéta Irglová . Un film tout simplement humain qui avait le mérite de mettre du baume au coeur. Le partage, c’est comme cela qu’a débuté cette amitié.
Mine de rien, musicalement parlant, j’ai appris plein de choses avec Melissmell. Elle m’a fait découvrir Gavroche, Guillaume Favray, Orly Chap, Gaëlle Vignaux, Bardan’, Chapell Hill, Lili Bee, Flow, Melchior Liboà, Keny Arkana, Asaf Avidan, Mary’s Dream… Et pleins d’autres artistes. Et aujourd’hui, ces artistes ont, dans ma tête de timbré, une place précieuse. Une vague nostalgique de ces nuits d’ivresse, de partage, quand Morphée peinait à bouger son cul jusqu’à mon lit.
Comme Barbara, j’aime les « contrastes » de Melissmell, cette faiseuse de rêve comme dirait Alexa. J’aime sa tristesse et sa mélancolie si douce, sa douleur dans la violence. Sa douceur qui devient rage et rébellion. Sa mélancolie qui devient joie de vivre.
Puis comme toute « passion », ça finit par s’éteindre … pour un instant. Je pense que par défi, ou pour préserver mon corps de toute mélancolie douce, j’avais mis de côté sa musique pour quelques mois, le temps de me baigner dans le VLP de Saez (ça ne tient pas la route, je l’avoue, mais je ne trouve que ça comme excuse bidon d’abandon). Cinq mois sans aucun son melissmellien, sans aucune nouvelle jusqu’au jour où…
Il y a de ces jours que je déteste dans l’année, surtout un : celui de mon anniversaire ! Mais petit rituel, il m’arrivait souvent de le passer au coté d’un ami qui m’était précieux : Jack Daniel’s. 1er Janvier 2009, j’ai remis sur ma platine l’album éponyme de Melissmell. Comme c’était bon, comme un souffle euphorique qui m’enivrait. Je ne crois pas vraiment au hasard, mais certaines fois il m’étonne vraiment. Comme l’ange déchu, elle était là. L’esprit de partage reprit, comme les 400 emails échangés en trois jours et trois nuits. Aussi fou que ma rencontre quelques semaines plus tôt avec Dub Incorporation et les sanglots dans ma gorge qui avaient suivi.
De la musique, on passa à l’analyse de l’humain dans toute sa splendeur. Je faisais mon petit fier avec le TAZ d’Hakim Bey dévoré en une nuit ou Mille Morceaux de James Frey qui m’avait mis en miette avec cette impression de vouloir se tailler les veines à l’autre bout de la page. Au fond, l’humain, les sentiments, la société, la littérature … je n’en connaissais pas grand chose ou je n’étais surtout pas de la génération Levy/Musso/BHL et lectures pour cons conformistes. Mell a trouvé sa famille littéraire d’une autre manière, elle a troqué et acheté des bouquins pour … avoir la clé !
Tenter, sans force et sans armure,
D’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l’étoile
Peu m’importent mes chances
Peu m’importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
J’ai aimé sa manière de manier le verbe, de bricoler les mots entre eux en découvrant Rousseau, « Trouver une forme d’association qui dit défendre et protège de toute la force commune, la personne et les liens de chaque associé et par laquelle chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste ainsi libre qu’auparavant« , ça l’avait cloué. Elle avait atteinte l’inaccessible étoile.
Il manque quoi aux ignorants d’y croire et de lever les yeux au ciel ? hein? De trouver leurs étoiles aussi ? Il manque quoi ?
Après l’hamster sous la gorge, je me retrouva avec une phrase inhabituelle Croque-mort ! croque mort ! Je passe commande! J’en veux pour 6 milliards de cercueils ou sarcophages ! J’étais coincé, fallait-il philosopher ? Analyser ? Se ranger de quel côté ? Oh pauvre de moi, je ne savais point quoi dire. En tout cas, les brèves analyses humaines et sociales furent assez satisfaisantes (tu vois, comme le soupir de soulagement après la fin d’un cours de philo …) et je me retrouva avec encore dix livres achetés pour changer cet éternel ado dans le combat, ce débile profond avec ses t-shirts « Solidarité Chiapas », …
23 janvier 2009, le deuxième choc de cette rencontre inoubliable. Je découvre enfin la chanson « Je me souviens« . Ce corps déchiré, cette âme meurtrie superbe de chagrin, ces cris sans lumière, les yeux qui bavent quelques vérités. Comme ce triste dimanche du 26 octobre 2003 où je venais d’apprendre le départ de mon éternel sauveur Elliott Smith, l’interprétation de « Je me souviens » m’a secoué. Laissant, pendant quelques minutes, les yeux se mouillaient et les mains tremblotantes. « 2009 est l’année, de la conscience et du passage à l’action collective, on a la possibilité de basculer », me disait-elle ! Oui, d’un coup, j’avais basculé aussi mais sans chaviré. Comme un réveil d’un sommeil profond, les sentiments humains étaient réels, les miens surtout que j’avais enterré… par envie.
Lâchez-moi de mes chaines !
Apprends-moi à voler
A voiler la face du monde !
A voler à la ronde !
Libère moi de mon être !
Les barreaux sont cassés !
Usés par nos fenêtres
Balayés les blessés !
Je me surprends à voler avec « Des nouvelles par les ondes » et « Ecoute s’il pleut » à l’aube de ses 27 ans. Je n’avais toujours pas encaisser le choc de « Je me souviens », je l’admirais, je la vénérais. Tu sais, quand elle chantait rien que pour moi ses histoires de solitude, d’amour perdu ou de cicatrices jamais effacées, je me sentais un autre. « On a tous des points en commun, seule la difference est la puissance de la douleur dans l’interieur de notre coeur et de notre âme » me murmura-t-elle.
Savoir qu’on a toujours eu peur
Savoir son poids de lâcheté
Pouvoir se passer de bonheur
Savoir ne plus se pardonner
Et…
N’avoir plus grand chose á rêver
Mais écouter son coeur qui danse
Etre désespéré
Mais avec espérance.
J’aime beaucoup les devinettes et lorsqu’elle me posa cette question « A ton avis, qui est une étoile, un soleil et une lune en même temps ?« . Un sourire se dessina sur mon visage et comme un candidat sous lsd de questions pour un champion, je me surprends à hurler « MELISSMELL !!! ». Bingo ! J’ai eu le droit de passer à la seconde manche. Pourquoi l’étoile, le soleil et la lune réunis dans cette passionaria ? »Car j’ai une seule étoile qui brille pour moi,c’est mon espérance et mon souhait mes rêves. Un soleil c’est mon espoir, mon sourire. Et une lune, pour me rappeler chaque instant que je peux tout perdre et que dans ce cas je n’aurais plus que mes yeux pour pleurer« .
Moi, mon étoile n’avait pas besoin d’être sauver, elle brillait… c’était le soleil. C’était aussi mon espoir, mes rêves … même si ces derniers étaient cachés sous mon oreiller et je tentais en vain de ne pas les écraser avec ma tête lourde de soucis d’adulte. Mais à force de rêver de l’impossible, on finit par passer à côté du possible ? Foutaise citation ! Puis vint cette chanson, qui consola mon errance. Je me payais des nuits blanches, à coeur qui bat, à coeur battant, comme chantait Barbara. Et mes rêves n’étaient pas faits pour être réaliser, juste pour rêver, pour rêver … Plutôt crever que de rêver, oui plutôt crever que de rêver…
J’ai priée que j’ai priée
Moi qui ne crois plus en ce monde
Qu’un dieu qu’un maitre pouvait m’aider
Sortir mon coeur d’entre les tombes
Plutôt crever plutôt crever
Que de courir après une ombre
Plutôt rêver que dériver
De toi de nous
De nos colombes
Ce qui est bien avec les mots de Melissmell, c’est que tu peux interpréter les chansons de plusieurs façons comme avec les paroles poétiques d’un Bertrand Cantat.
Ah Cantat ! Voilà une phrase que tu as dû répéter à tue-tête : « Melissmell, un Cantat au féminin ». Bon j’avoue, c’est mieux que les « Une deuxième Zaz » ou « Melissmell, une chanteuse qui suit les pas de Zaz » ! Youpi, en France, il suffit de vendre 100 000 albums, de jouer à la foire du saucisson et à l’Olympia, de faire le pitre chez les enfoirés (ce qui des fois, fait de toi un sacré enfoiré…) pour devenir une référence dans le milieu de la musique. Allons enterrer les Barbara, les Gribouille, les Sarah Vaughan, les Billie Holliday, les Nina Simone, … Comparer, comparer, comparer … Mais c’est français, tu n’y peux rien. Rappelles toi aussi y a une dizaine d’année, est-ce qu’on saluait le talent et les rimes poétiques et célestes de Cantat et ses acolytes ? Oh non, on s’arrêtait plutôt à une comparaison avec The Gun Club et les Doors. Et les Dogs ? Et Taxi Girl ? Tous, ont été saupoudrer par ces comparaisons débiles, histoire de dire (et se dire) « Oui moi monsieur, j’entends et je comprends la musique ». Au final, ça me désole plus que ça ne me fasse rire ces comparaisons et surtout ce manque d ‘ouverture d’esprit, de ne pas voir l’art et la musique et qu’à la place préférer lire les critiques dignement recopié d’un vieux dossier presse qui trainait sur le comptoir d’un journaliste.
Jacques Prévert, Edgar Allan Poe, Vladimir Maïakovski, Lewis Carroll, Paul Éluard, Arthur Rimbaud, Apollinaire, Aragon,… C’est rare qu’on fasse fleurir ces noms là à coté d’une critique sur Noir Désir, et pourtant c’était des influences -assumées- par Cantat.
Dis-moi, toi qui baille déjà, tu vois quoi dans les chansons de Melissmell ? Tu vois quoi quand tu entends la voix ?
Je rêve que nous sommes des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été.
Avec vous ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire.
Quand j’entends Melissmell, je suis impressionné par sa poésie comme je l’ai été avec celle de John Keats (je dois surement exagéré, ma foi c’est vrai, mais faut bien saluer la poésie de la miss). Je la vois retenir le printemps pour pondre de sa plume, de magnifiques mots vibrants de sensibilité. Quand j’entends Melissmell, c’est des ongles noircis que j’imagine à force d’espérer. Une voix ténébreuse qui se laisse gagner par l’amour, c’est un peu ce frémissement de sentiments que tu retiens au fond de toi, que je retiens au fond de moi.
Melissmell aime écrire des belles lettres tachetées d’encre. Elle se donna à la calligraphie en tombant sur le magnifique livre de Hassan Massoudy : Calligraphie pour l’homme. Une œuvre très épurée, sereine, magnifiant les textes qui l’habitent. Une poésie émouvante, une élégance des dessins calligraphiques à te couper le souffle.
On ne peut trouver de poésie nulle part quand on n’en porte pas en soi.
La poésie est ancrée en elle … pour toujours.
Tu ne t’es pas endormi ? Super ! La suite bientôt
Crédit Photo : Florian Laval