(15) La cabine de Madame Gallerini

Publié le 19 mai 2011 par Luisagallerini
Jeudi 19 mars 1863, 11h20 du soir
Dans un silence lourd de non-dits, je dînai de volaille et de légumes grillés avec les Verdret, décidément muets autour d’une même table, avant de retrouver Madame Gallerini sur le ponton. Elle avait installé une petite table pliante sur laquelle elle avait disposé deux verres. J’ajoutai une flasque de rhum. Reconnaissant mon pas, elle me salua avec une telle gaieté que je souris sans trop savoir pourquoi. Je dépliai mon siège tout près du sien et m’installai confortablement. Nous trinquâmes à notre merveilleux voyage en Égypte. À peine mon verre terminé, j’étais totalement ivre. Fort heureusement, il me restait suffisamment d’esprit pour conserver mon timbre de voix grave et mon allure d’homme, mais pour le reste, je crains fort d’avoir perdu toute tenue. Le Nil était radieux, embrasé par le soleil sanglant de la nuit naissante, et lorsqu’elle m’annonça qu’elle avait une surprise pour moi, je ne compris pas immédiatement ce qu’elle entendait par là. Je la suivis sans protester jusqu’à sa cabine. Un cadeau m’attendait sur la commode. Docile, bien que piquée par la curiosité, je m’arrêtai sur le pas de la porte, attendant qu’elle ressortît avec le paquet.
Elle pointa bientôt le bout de son nez ravissant par l’entrebâillement de la porte : « Allez-vous rester ainsi toute la nuit, ou bien vous déciderez-vous enfin à franchir le seuil ? Je ne vous ferai aucun mal vous savez, vous pourriez même avoir un second cadeau si vous daigniez m’honorer de votre présence. » Elle fit une révérence et attendit. Rouge de confusion, je pénétrai dans sa cabine et remarquai avec stupeur qu’elle était tout aussi étroite et sommaire que la mienne. La mienne semblait même être légèrement plus grande, à moins que ce ne fût une illusion due à l’amoncellement de vêtements, objets divers et autres produits d’hygiène. J’eus un pincement au cœur en détaillant du coin de l’œil ses tenues chatoyantes. La richesse des toilettes féminines n’avait pas d’égal dans la garde-robe d’un homme. Elle nota mon teint cramoisi et s’empressa de refermer la porte de la cabine, pensant que cela me mettait mal à l’aise que quelqu’un, du couloir, pût nous apercevoir. En y songeant, j’agissais comme une femme effarouchée et elle, comme un jeune homme entreprenant. Cependant, imaginer que le capitaine, son oncle, un autre passager, même un matelot, nous vît, et deviner leur sourire de connivence, en effet, à bien y réfléchir, me répugnaient.
A suivre...