Lorsque j'ai appris que j'avais un cancer métastasé en 2006, survivre 5 ans était mon premier objectif. Il me semblait difficile à réaliser avec ce cancer agressif qui avait déjà envahi un organe vital, le foie, et me grignotait de l'intérieur.
Mes filles avaient 4 ans et 15 mois, je me disais que dans 5 ans, si j'y parvenais, elles auraient 9 et 6 ans, encore si petites mais tellement plus grandes qu'au moment du diagnostic. Au moins elles auraient un âge où il leur resterait quelques souvenirs de moi. Parce qu'avant 4 ans, je n'ai aucun souvenir. Ça commence vers 5 ans et davantage ensuite avec l'entrée au primaire. Je voulais que mes filles aient au moins une trace de leur maman en mémoire, pas que des photos, des enregistrements mais des souvenirs personnels, vivants. Je trouvais ça terrifiant de les avoir mises au monde, les avoir aimées et mourir sans qu'il ne leur reste rien de leur maman, absolument rien, le néant. C'était ce qui m'était le plus insupportable à imaginer lorsqu'on m'a assené toutes ces mauvaises nouvelles.
Lorsque mon mari C. a eu 40 ans, voici deux ans, j'ai organisé une grande fête à cette occasion en me demandant si j'aurais la chance moi aussi de fêter ce cap avec cette saleté de cancer sommeillant en moi. Je n'en étais pas certaine du tout, le cancer est tellement imprévisible.
Dimanche dernier, c'est devenu réalité. J'ai eu 40 ans.
J'ai pu me dire "j'ai 40 ans" en ressentant une immense satisfaction, celle d'avoir réussi à survivre 5 ans en rémission. Lorsque des femmes m'ont demandé "Alors, pas trop dur ce passage à la quarantaine ?". J'ai du mal à leur faire comprendre qu'au contraire, je le vis avec un immense bonheur. Pour moi vieillir n'est pas une malédiction, c'est ce à quoi j'aspire de tout mon être. Je veux savourer chaque année de plus, je veux être là avec mes proches et contempler mon gâteau orné d'une bougie de plus. Elle symbolise tellement cette bougie, cette année de plus. Je me sens privilégiée d'avoir pu vieillir. Je pense à toutes ces mamans parties bien trop tôt. Elles avaient ce point commun avec moi, elles n'avaient pas spécialement peur de la mort, elles n'avaient qu'une obsession en tête, leurs enfants devenant des orphelins privés d'une maman. Cette pensée est ce qu'il y a de plus intolérable en tant que mère.
Ce blog d'ailleurs résulte en partie de cette terreur. Imaginer mes filles sans aucun souvenir de moi était tellement effroyable que je me suis dit qu'au moins un jour, elles pourront venir me lire, ici. Elles auront une trace de moi, autre que par des intermédiaires.
Je voulais faire une grande fête pour mes 40 ans, et puis finalement je n'en ai plus le désir. J'ai été gâtée, cette année, mon anniversaire était un dimanche. J'ai pu en profiter pleinement avec mes proches. Mon plus beau cadeau était d'être avec eux.
Évidemment me vient maintenant à l'esprit la prochaine étape. 50 ans me semble encore plus hypothétique que 40, beaucoup plus improbable à atteindre. Florence continue à tracer la route, 8 ans de survie avec herceptine, toujours en rémission complète. Mais hélas plusieurs ont fait des récidives cette année malgré herceptine, malgré des années en rémission. Je sais que je ne suis pas à l'abri de ce cancer.
Lorsque j'ai appris que mon père âgé de 55 ans avait un cancer incurable, qu'il était condamné. Je n'arrêtais pas de me répéter, que c'était injuste, que 55 ans, c'était bien trop jeune pour mourir. Lorsque j'ai appris à 34 ans mon cancer. Je me suis dit que finalement j'aimerais tant atteindre 55 ans mais ça serait tellement inespéré.
Au lieu de me fixer 50 ans comme prochain objectif, je vais déjà viser 45. Ça serait déjà pas mal si j'y arrive. Mes filles auraient alors 14 et 11 ans. Être à leur côté jusqu'au début de l'adolescence serait tellement merveilleux.
Je vis chaque année supplémentaire comme un privilège inouï dont j'ai pu bénéficier. Ce que je redoute est de mourir prématurément, pas de devenir une petite vieille. J'ai tellement de projets, j'aime tellement la vie et je voudrais tant être présente dans tous les moments clés de l'existence de mes filles tant qu'elles ont besoin de moi. Comme le mois de mai est très fertile en anniversaires, je souhaite à tous ceux qui ont la chance d'avoir pris une année de plus un très joyeux anniversaire plein d'amour.