J’étais à Paris quelques jours la semaine dernière et, comme à mon habitude, j’y ai fait le plein de journaux français avant de rempiler pour douze heures de vol retour. De l’Express au Nouvel Obs, on n’y parlait que du candidat virtuel de la gauche à l’Elysée, de sa fortune personnelle à la Porsche d’un de ses amis, en passant parfois (rarement) par ses qualités intrinsèques de reformiste du FMI. Un candidat favori de la gauche et des français, un peu trop riche pour être honnête, mais seul à pouvoir tourner la page Sarkozy, apparemment.
De retour à Los Angeles samedi, j’ai été choqué comme tout le monde d’apprendre que celui que je m’étais fait à l’idée d’être élu président avait été promptement placé sous les verrous sur une accusation de viol au premier degré, de séquestration et tentative de fuite.
L’histoire de la descente aux enfers de Dominique Strauss-Kahn a depuis fait son chemin dans les médias américains et français, de fort différente manière. Un vrai cas d’école de journalisme sur l’importance du « ton » donné à l’exposition des faits, et pour moi, un beau cas de management inter-culturel de la perception d’une même réalité.
De la réalité, on sait encore peu de chose. Ce qui rend l’histoire d’autant plus exemplaire, car il y a peu de faits à distordre : un homme est accusé du viol d’une femme de chambre dans un hôtel.
Après quatre jours sans enquête publique, c’est devenu pour les uns le créancier blanc le plus puissant de la planète accusé de violer l’égérie de la femme africaine qui peine à joindre les deux bouts. Si cela avait été un dessin de Plantu pour illustrer la pression du FMI sur les pays en voie de développement, on en aurait sourit.
Pour les autres au contraire, c’est le spectacle d’une justice corrompue et expéditive qui se précipite en place publique pour pendre haut et court et sans preuve avérée un homme respectable et un gêneur, victime potentielle d’un immonde complot politique. S’il s’était agit de Jimmy Hoffa, on en aurait pleuré.
Mais dans leur façon (différente) de voir les (mêmes) faits, médias américains et français se rejoignent sur un trait commun qui reflète l’hypocrisie de leurs sociétés. Les américains aiment prendre publiquement la défense des « vraies » victimes. Prompts à dénoncer les abus des puissants et à défendre le pot de terre contre le pot de fer. Main Street contre Wall Street, « petits » épargnants contre Bernie Madoff, et le Département de la Justice contre Strauss-Kahn font un carton parce qu’ils rappellent les valeurs de justice pour tous sur lesquelles l’Amérique est fondée. Superman ne défend pas les riches, David gagne contre Goliath, le bien triomphe toujours du mal. Ces images soudent ce pays qui dans le même temps, ne voit pas de contradiction à se fasciner pour l (97% du PIB), mais le débat a fait rage, alimenté par une sombre affaire de caméra cachée ayant surpris des dirigeants de NPR en flagrant délit d’opinion gauchisante. Il s’agissait donc surtout d’’argent et n’a de cesse que de défendre réellement l’intérêt de ses citoyens les plus puissants, au motif extrêmement JUSTE que tous ont la même chance de le devenir.
Pour leur part, les français adulent publiquement leurs élites, respectent la monarchie invisible qui dirige le pays et aiment élire leurs notables, intellectuels, ou tout autre chevalier moderne présentant quelques traces de sang bleu. « De la retenue » et du « respect » pour l’abuseur, au nom de son rang (pardon : de sa « présomption d’innocence »), ont été les mots d’ordre rapidement passés sur tous les médias français suite à l’arrestation de DSK. Le personnage est de grande hauteur. La femme de chambre est roturière. Mais dans le même temps, le Super Dupont enfouis dans chaque français se réjouit secrètement à chaque faux pas du roi, fomente la révolution, et n’a de cesse que de défendre réellement l’intérêt de ses citoyens les plus faibles, au motif extrêmement JUSTE qu’ils en ont le plus besoin.
Si la France a décapité Louis XVI, elle semble continuer à respecter le sang de ses élites. Les rédemptions y sont possibles et acceptées. L’Amérique n’a pas consommé sa revanche sur George III, elle continue à demander la tête des arrogants. Les rédemptions y sont rares et discutées. Les candidats à la prochaine élection présidentielle américaine le savent bien : leur éventuelles errances personnelles passées ne leur seront jamais pardonnées.
La justice en France est toujours questionnée. En Amérique, elle est toujours affirmée, avec force. You don’t want to mess with the officer. Yes Sir!