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La chute

Publié le 22 mai 2011 par Emma Falubert

Un puissant s’est écroulé, d’un coup, et des repères semblent s’être dérobés pour toujours. Un Barbe-bleue est descendu de ses limbes dorés pour croupir en enfer. Dans cette chute, des lumières se sont tues et les discours des uns et des autres, puritains, libertins, juges, policiers, politiques, journalistes, n’éclaireront plus rien, et nous le savons. Hébété, on se ressasse alors en boucle la chute de tout ce monde, le maître, la juge et l’esclave et de toutes nos fragiles certitudes… Parce que ce qui intrigue, c’est qu’on ne sait rien, juste qu’il doit y avoir faute ! Mais où ? quand ? comment ? par qui ? sur qui ? une faute imprécise, mystérieuse et grave, sans doute, et que de cette faute, devenue incontournable et certaine, est apparue la crainte, cette crainte trouble et vague, mais si présente, qu’elle ravive l’immanence et la réalité de ce péché originel, après lequel nous vivons, qu’on le veuille ou non. Et lui, le puissant, en Roi déchu, en Adam nu, dépouillé et abandonné, condamné par les femmes, Eve, la juge et Eve la soubrette, nous ramène alors la trivialité et la fragilité de nos quêtes de tous les paradis entrevus et qu’on ne savait pas encore perdus. Et l’histoire infernale de cette chute (que certains maintenant prétendent annoncée) nous enferme définitivement dans notre propre doute… prisonnier, comme lui, de ce doute coupable : coupable d’être une femme, d’être un homme, d’être un puissant, un juge, une employée, de ne pas être américain, de l’être, d’être des voyeurs, d’avoir peur, d’être incrédules, trop confiants, d’être forts ou faibles, coupables de ne pas ceci ou trop cela, coupable tout simplement d’être vivant… Et dans ce désastre, le bucher de toutes nos déplorables vanités se consume aux intenses feux d’une société du spectacle, portée à son paroxysme. Ces sinistres et hypnotiques flamboiements cathodiques voient les codes des fictions qui nous font vivre et nous protègent, se déliter aux affres de cette histoire trop vraie et si biblique, pour étrangement comme en septembre 2001, faire émerger le réel, cru, idiot, pesant, horrible, mais plus vrai que le pire des cauchemars. Et la fascination troublante de cette histoire ne vient donc pas de l’horreur ou de l’abjection, ni de la douleur des uns ou des autres, ni encore moins du chaos qu’elle provoque, mais du fait que sa vérité n’est pas seulement d’être réelle, mais aussi et paradoxalement de nous relier aux fictions premières liées à la chute originelle. La chute originelle, cet archétype qui, à la fois, nous fonde, nous résume, nous ordonne et évidemment provoque l’Effroi fondamental que l’on soit Le maitre, le Juge , l’esclave, ou le simple quidam.


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