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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (20)

Publié le 23 mai 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (20).  La détermination de Clarisse.

Le ciel était tombé sur la tête du président Enjelran ! Il se leva d’un bond, vacilla un instant, et, reprenant ses esprits. 

   - Quoi ! Et c’est vous un préfet, qui osez me dire pareille infamie ! Qui est l’auteur de cette calomnie ridicule ?

   - Il ne s’agit pas d’une calomnie. Mme Manzon a donné des détails précis au lieutenant Clémendot.

   - Enfin, Monsieur le Préfet, vous savez bien que ce lieutenant n’est qu’un vulgaire trousseur de jupons. Je sais qu’il est, ou qu’il a été, l’amant de ma fille.

   - Vous devriez vous calmer, Monsieur le Prévôt ! Le lieutenant est l’aide de camp du général de Vautré.

   - Il n’empêche ! Je n’ai guère de considération pour cet homme qui se conduit comme un mufle. Nul n’ignore, dans Rodez, les dispositions étranges de ma fille. C’est une femme nourrie de romans et celui-ci en est un autre après tant d’autres. Quel crédit accorder à toutes ces bizarreries ?

   - Monsieur le Prévôt, je sais ce qu’il vous en coûte d’apprendre les égarements de votre fille. Je vous demande de nous montrer du courage.

   - Jamais je n’encouragerai ma fille à mentir en soutenant qu’elle était dans cette horrible maison.

   - Vous êtes magistrat, et vous devez choisir entre la tendresse du père et la justice.

   - Les devoirs de magistrat me commandent de n’accorder aucun crédit à l’imagination de ma fille.

   - Vous êtes un homme d’honneur, Monsieur le Prévôt. Si vous persistiez à dire que le lieutenant Clémendot est un calomniateur, il se verrait dans l’obligation de provoquer en duel votre fils, Edouard Enjelran.

   - Mais, il est officier dans le même régiment. De plus, je ne vois pas comment le lieutenant pourrait vouloir venger son honneur, il en est totalement dépourvu. C’est un être fourbe et amoral.

   - Mesurez vos paroles, Monsieur Enjelran. Le général de Vautré n’aime qu’on insulte ses officiers, la carrière de votre fils pourrait en souffrir.

   - Dans tous les cas, que resterait-il de l’honneur des Enjelran si je devais souscrire aux bruits qui font de ma fille une catin de la Bancal ?

   - Aux rumeurs qui courent sur votre fille, Monsieur le Prévôt, s’ajoutent quelques insinuations sur des affaires d’intérêt qui vous lient à Jausion. Si vous persistez à refuser votre aide, certains pourraient y voir, de la complaisance, si ce n’est de la complicité.

La manœuvre du préfet était parfaitement déloyale. Qui dans Rodez n’avait aucun lien d’affaire avec Jausion ? Lorsqu’il quitta le bureau du comte d’Estourmel, le prévôt se vit sans doute un instant sur le banc des accusés en compagnie de Jausion, Bastide-Gramont et consorts, entre l’antichambre de la guillotine et l’opprobre marqué au fer rouge sur le nom des Enjelran.

Dans la soirée qui suivit, Clarisse me rapporta qu’il commença à changer d’attitude. Il lui parla avec beaucoup de gentillesse, sur un ton doucereux.

   - Je sais qu’il est pour toi difficile de faire pareil aveu. Mais, tu le dois à la justice, à notre famille. Tout te sera pardonné, si tu conviens que ce soir-là, tu te trouvais bien dans la maison Bancal.

Clarisse protesta vigoureusement. Dans la soirée du 19 mars, elle n’avait pas bougé de chez elle, les sœurs Pal le confirmeraient volontiers.

A ces mots, Monsieur Enjelran leva les bras au ciel, le ton de la conversation changea, il se fit menaçant.

   - Malheureuse ! S’exclama-t-il, sais-tu ce que vaut un alibi dans ce pays ? D’ailleurs, il n’est pas question de cela. Il est prouvé que tu étais dans la maison Bancal. Nous ne pouvons remettre en cause la parole du lieutenant Clémendot. Et puis, quand la Bancal sera exécutée, et si, dans son testament de mort, elle venait à déclarer que tu étais chez elle lors de l’assassinat, il n’y a nul doute que tu serais poursuivie comme complice.

Tout fut vain. Lorsque le lendemain, j’accompagnais Clarisse chez le préfet, elle était bien décidée à soutenir qu’elle n’était jamais allée dans la maison Bancal.


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