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« Plus qu’il est mort et plus qu’elle l’aime »*

Publié le 25 mai 2011 par Sophielucide

« Plus qu’il est mort et plus qu’elle l’aime »*

« Plus qu’il est mort et plus qu’elle l’aime »

La mort soudaine du père a fait voler en éclats les prédictions maternelles. De huit ans son aînée, bien ancrée dans le rôle de macchabée potentielle qu’elle s’écrivait depuis longtemps,  il lui aura en quelque sorte volé la vedette, et c’était pas prévu. Alors elle a changé de refrain. Même si elle ne peut renoncer à nous déclarer fautifs face à sa mort annoncée à la moindre occasion et  toujours ajournée : « Maisc’estmamortquevousvoulez ? ou autre : Qu’est-cequevousallezfairequandjeneseraipluslà ? » elle a viré de bord sans autre forme de procès. Maintenant on a droit à : « Ah ! Si votre père était encore là… » Prémisses aux vains griefs se résumant par « Vous n’oseriez pas, vous ne vous permettriez pas… »  Etcetera, etceteras…

Comme la réhabilitation n’a pas tardé, ça nous a plutôt étonnés. Enfin, je parle pour moi, pour les autres, je ne sais pas, je renonce à me proclamer porte-parole de la fratrie depuis que je suis devenue insolente, effrontée…. « Je ne vous ai pas élevés comme ça… »  Comme quoi ??

Mon père n’était pas encore refroidu, ni ma colère retombée, qu’elle a commencé à lui dessiner une auréole qui ne cesse au fil du temps d’éclairer sa personne qui, du coup, s’efface peu à peu par effet d’éblouissement.

Du jour au lendemain, mon père est devenu un saint homme. Celui qui lui convenait enfin. Un homme à sa hauteur. Un mort, quoi !

Dont on peut faire à peu près ce qu’on veut, plus contrariant du tout, un type accommodant.  Elle lui prête désormais toutes sortes de qualités qui jusqu’ici l’ont aveuglée. Mais maintenant, elle les voit ! Elle ne voit même plus que ça, nous autres sommes toujours aussi transparents, cela n’a pas changé.  Elle se met à l’encenser, ce type qu’elle méprisait ouvertement devant ses cinq enfants devenus grands, pas encore des adultes mais des adolescents sans complaisance aucune.  Le raté s’est mué en travailleur acharné, se saignant aux quatre veines pour sa famille ; nous, on le savait déjà mais elle le découvre.

Alors, pas étonnant que l’image du couple ne m’ait jamais vraiment fait rêver. Le duo qu’ils formaient, c’était un  peu une fable de La Fontaine qu’on nous aurait forcés à lire et relire jusqu’à la nausée : le chêne et le roseau.  On pensait le père invincible, irréductible, voire immortel et voilà qu’il a rompu net ! Brisé, le mec ! Claqué ! Presque sans crier gare.  Même pas le temps de se faire à l’idée, qu’il est déjà clamsé. Et l’autre à côté, le roseau qu’on croit chétif et qu’on veut protéger, il prospère, lui. Il se propage dans une mare aux relents nauséabonds. Et nous au milieu, comme des canards boiteux, des volatiles aveugles, des manchots sans vergogne.

A l’enterrement, avec mes frères, on a chanté. Ma sœur était trop bouleversée, ma mère avait enfilé le costume de martyre qui lui va bien au teint, le plus petit avait été mis de côté, gardé à la maison. On a chanté dans les allées du cimetière une chanson populaire du répertoire paternel : « si je meurs, je veux qu’on m’enterre dans une cave où y’a du bon vin… » On arpentait les allées vides, loin des autres, de la « famille » venue là par curiosité. A cette époque, j’étais pas loin d’aller cracher sur sa tombe, à mon père.

J’ai mis du temps avant de me réconcilier avec lui, et avec moi, parce que je ne peux pas dire non plus que j’étais heureuse de me sentir complètement submergée par une colère sourde que je localisais mal, mais que pour des raisons pratiques je faisais endosser à mon père. Pauv’ vieux, va !

Le truc, c’est qu’il a pas avalé qu’en grandissant, je ne le voyais plus comme un dieu, que je ne m’installe plus sur ses genoux ou que je sois devenue moins bon public devant ses blagues que je connaissais par cœur, qui m’avaient tant fait rire mais que je trouvais maintenant plutôt piteuses. Il n’a pas encaissé ça, sa dégringolade spirituelle.  Et ma mère y a vu comme une aubaine, alors il s’est senti très seul. Abominablement seul.  S’il avait tenu quelques années de plus, s’il avait eu le temps de devenir quinquagénaire, on aurait fini par en rire, tellement je me montrais fidèle à la caricature de l’adolescente cinglante et méprisante… Je suppose que même sans les mots, il comprenait un peu. J’espère. Je ne peux pas vivre sur ces regrets stériles, j’ai mon orgueil aussi. Un sale défaut partagé par mes deux géniteurs, qui s’est exacerbé à mon contact … /….

In Waltraude.

*L.F Céline/Mort à crédit


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