Vous me connaissez (enfin certains), il n’était point question pour moi de lire cet ouvrage le soir sous la couette. Non mais sans blague ! Pas envie de risquer l’insomnie pour cause d’angoisse profonde ou de paranoïa galopante. Pas envie d’entendre les mouches marcher sadiquement sur le plafond de ma chambre et d’imaginer que le pire va m’arriver (car les mouches, une fois la nuit venue, se transforment aisément en dangereuses créatures, c’est de notoriété publique). Ce genre d’histoires, je les lis dans le bus, entourée d’une foule malodorante et bruyante, mais rassurante. Une foule qui ne parviendra pas à m’ôter ma concentration, car, je vous le dis, une fois plongée dans ce livre, il est difficile de s’en défaire. Si d’aventure vous avez croisé une namuroise qui lisait en marchant, ou qui marchait en lisant, ça doit être moi. J’assume.
Vous me direz, ça parle de quoi, « Petits contes cruels pour mal dormir » ? Je ne vais pas vous répondre, d’une voix un tantinet moqueuse, « ben de petits contes cruels pour mal dormir », même si je suis tentée…
« Petits contes cruels pour mal dormir », ce sont onze histoires, parfois courtes, parfois plus longues, teintées de mystère et d’angoisse, et puis de cruauté (bien entendu), le tout saupoudré d’un zeste de fantastique bien agréable (et pourtant dieu sait que le fantastique et moi, ça fait trois).
Ma préférée ? Difficile, très difficile, mais je suis restée stupéfaite à la lecture de « la poupée de Mélanie », qui, contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre, ne raconte pas une histoire à la « Petite fille modèle », loin s’en faut. « Semence ultime », histoire courte mais fracassante, restera également longtemps dans ma mémoire. Tout bien réfléchi, chaque histoire vaut son pesant d’or. Rien que de vous l’écrire, mes poils se dressent à nouveau sur mes bras velus, c’est dire !
Dominique Leruth. Retenez ce nom. Ce livre mérite définitivement une diffusion beaucoup plus large, car le talent de l’auteur le mérite amplement. Je n’aurai qu’un conseil : lisez-le. Le soir si vous êtes téméraires ou dans le bus, si vous êtes juste courageux, qu’importe, mais lisez-le. C’est un ordre.
Afin de vous mettre l’eau à la bouche (je suis sadique, je sais), l’auteur m’a autorisée à publier un petit extrait des « Manies du docteur Steiner », que je vous livre avec grand plaisir… tremblez, lecteurs.
« La porte d’entrée grinça et une vive lumière inonda le hall. Le sang battait les tempes grisonnantes du petit docteur. L’excitation probablement. Malgré tout, il s’astreignit à procéder comme chaque soir au cérémonial du retour. Il retira la longue pelisse, déroula les deux épaisseurs de l’écharpe de laquelle émergea un cou décharné et rangea la trousse le long du mur. Il n’avait qu’un souhait : se précipiter, bondir au salon. Mais, il se contint. Plus, peut-être, par envie de prolonger le plaisir que pour ne pas réellement déroger à ses principes.
L’horloge était là. Souveraine. Au beau milieu de la pièce. Enveloppée d’une étrange aura qu’elle diffusait alentour. L’homme s’approcha son petit sac à la main.
Le balancier se mit à vibrer d’une sonorité sourde et profonde, comme un glas venant du fond d’une nuit de brume. Il ouvrit le battant et un grincement s’éleva doucement. Le balancier l’accueillit de son mouvement rythmé comme l’aurait fait le bonjour d’une énorme main cuivrée. Le froissement du plastique fit comme une musique légère et l’horloge donna elle aussi l’impression de frissonner de plaisir. Le docteur Steiner sortit le contenu du sac qui trancha sur la blancheur de ses mains longues et fines. Puis, il le déposa à l’intérieur même du corps, tout au fond, sous le balancier. Le battant se referma de lui-même. Et l’on pouvait voir au travers de la vitre de celui-ci, à chaque oscillation, une traînée de sang recouvrir peu à peu l’éclat doré des contrepoids. » Le blog de Dominique.