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26 mai 1955 | Jules Supervielle, Grand Prix de littérature

Publié le 26 mai 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 26 mai 1955, Jules Supervielle reçoit le Grand Prix de littérature de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.

Jules Supervielle
Portrait de Jules Supervielle à vingt-six ans,
d’après une eau-forte de Fernand Sabatté (1874-1940).
Source


   Partagé entre deux espaces totalement opposés, l’Uruguay dont il est originaire et la France où il a été élevé, Paris et la pampa, Supervielle tente de concilier les contraires. La cité tentaculaire et protéiforme d’un côté, les grandes étendues de la pampa de l’autre. Le trop-vide et le trop-plein sans cesse le fascinent ou l’angoissent. Ces tensions lui inspirent les poèmes en vers libres de Débarcadères, premier recueil publié en 1922, puis de Gravitations, en 1925. Entre temps, l’écrivain se tourne vers des récits à caractère métaphorique. Publié en 1923, L’Homme de la pampa, son premier roman, raconte l’histoire d’une métamorphose. Guanamiru se change en géant. Au cours de cette métamorphose, le corps de Guanamiru mène une vie autonome qui laisse l’homme impuissant. Devenu « la proie d’une véritable panique osseuse et cellulaire », le corps de Guanamiru finit par éclater. Après son explosion, la mort elle-même étant impossible, Guanamiru continue de vivre, par fragments dispersés.

  « Rêves et réalités, farce, angoisse, j’ai écrit ce petit roman pour l’enfant que je fus et qui me demande de histoires. Elles ne sont pas toujours de son âge ni du mien, ce qui nous est l’occasion de voyager l’un vers l’autre et parfois de nous rejoindre à l’ombre de l’humain plaisir. »

I

DÉSERT À CORNES (extrait)

  Dans le wagon qui l’emportait vers le Nord, tête nue à la portière, il laissait le vent champêtre jouer sur son crâne où des cheveux en étroites averses et une calvitie ensoleillée faisaient le beau temps et la pluie.
  Des impressions d’enfance lui parvenaient, par fraîches bouffées, en pleine figure. Ses premières années ne reposaient-elles pas aux vivaces frontières de sa mémoire dans un berceau gardé la nuit par la lune bleue des pampas et le jour par un couple de vanneaux aux cris si aigus qu’il les entendait encore ?
  Follement, son âme de cinquante ans plus agile que ses jambes s’ébattait au grand air. Fernandez y Guanamiru la poussait devant lui au fil humide et emperlé de la campagne matinale. Parfois, durant la marche du train, un mugissement pénétrait dans le wagon : ainsi s’exprimait la pampa dans son fruste parler, comme fait celui qui ne disposant que de certains mots d’une langue étrangère, voudrait leur confier toutes les nuances de sa pensée et même davantage, dans une ambition désorbitée.
  Cette campagne ignorante des lignes brisées, l’horizon l’attend sans surprise, sachant bien que d’un élan sous le ciel immense elle ira jusqu’à lui.
  Seuls dans la plaine les oiseaux sont chargés de tracer dans les airs de fuyants paysages que de leurs chants ils prolongent.
  À eux de porter le poids et la responsabilité des quatre saisons, d’offrir le mystère et les lointains de la forêt absente. Et au printemps quel travail ! Comment, si l’on n’a que deux ailes, suggérer les carrés de labours, l’exaltation des branches, les milliers de boutons d’une roseraie, et toutes les interrogations de l’air et ses exclamations ?
  Passe dans le cadre de la portière une oasis véritable : petit bois, galops de chevaux, une paillote et deux métisses étendant du linge blanc-de-pauvre et rose-fané. Il y a dans l’esprit de Guanamiru des échanges, des départs, des images qui viennent du dehors et s’installent, prenant leurs aises en vue d’un long séjour. Voici un eucalyptus qui occupe et parfume la place d’une mauvaise pensée ; un agneau ayant vainement cherché sa mère morte dans la prairie la retrouve broutant tout le long d’une idée générale du voyageur.
  « Heureux agneau, soupira Guanamiru, ah ! plus heureux que mes trente bâtards qui rôdent humblement dans la plaine à la recherche d’un père. »

Jules Supervielle, L’Homme de la pampa, Éditions Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1988, pp.11-12-13.



JULES SUPERVIELLE

■ Jules Supervielle
sur Terres de femmes

16 janvier 1884 | Naissance de Jules Supervielle
→ 17 mai 1960 | Mort de Jules Supervielle



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