Billet publié le 16 juin 2010. (Bruxelles, Belgique)
Et puis il y aurait la fin.
J’ai quitté la France il y a maintenant un petit peu moins d’un an. J’ai eu le temps de passer par le Canada, les États-Unis, la France, la Belgique. J’ai eu le temps de m’installer, de me faire des souvenirs, de quitter, de reprendre mon souffle, de repartir… pour revenir. Dans 15 jours, j’aurai définitivement posé ma grosse valise bleue après un an de vadrouille à la découverte de nouveaux repères, de nouveaux visages, de nouveaux paysages.
Dans 15 jours, ma valise pleine de souvenirs trônera au milieu de ma chambre d’adolescent chez mes parents, comme un immense anachronisme. Je me rappelle de la veille de mon départ à Montréal, de l’appréhension de l’inconnu, de la boule au ventre et de l’excitation. Je me rappelle de ce moment comme celui qui marqua le début de la liberté. La vraie liberté. Celle qui te permet de partir loin pour essayer, tenter, réussir, rater. Celle qui te permet de détendre suffisamment le lien qui t’attache à ta terre pour partir t’enraciner ailleurs. Je me souviens de ça comme d’hier. Heure zéro. Rompre pour rétablir. Je suis parti parce que j’avais rendez-vous avec ce moi que j’ai retrouvé au volant de cette voiture, dans une salle de concert, sur un banc de Bryant Park ou dans une maison de la campagne belge. Je suis parti pour me trouver. Comme tout le monde, en fait. Cependant, il y en a un qui ne m’a jamais vraiment quitté.
J’ai souvent fait allusion ici à cet homme et je voulais t’en parler depuis longtemps. Je l’ai rencontré au détour d’une chanson de Bashung, quand j’ai commencé à écouter de la musique. Assis dans l’ombre, comme un éternel compagnon, il lui a certainement offert ses plus beaux mots. J’ai souvent dit ici que je n’arrive jamais à me souvenir des paroles des morceaux qui me touchent vraiment. C’est vrai avec toutes les chansons de Fauque, sans exception. Je n’arrive jamais à remettre les mots dans l’ordre parce que j’ai l’impression d’être à chaque fois au stade de la première écoute. Cet homme crée des atmosphères d’une intensité rare. Il connaît les mots, par coeur, tous. Il joue avec parce que « l’humour est l’arme des gens désespérés ».
Jean Fauque, c’est aussi une voix. Une voix grave, typique de ces chanteurs qui parlent en chantant, ou l’inverse. Comme Arno ou Philippe Léotard. De ces chanteurs qui ne peuvent pas faire autrement. Toute sa sensibilité est là, dans cette capacité à jouer sur les phrases, leurs rythmes, les allitérations, à accorder les mots pour prendre de court. Derrière cette gymnastique de l’esprit, il utilise le langage brut, fouille les champs lexicaux, exploite les racines et les usages pour créer ces nouvelles sensations, qui puisent dans une mélancolie omniprésente.
Je suis incapable de te dire combien j’aime ce personnage qui m’a accompagné dans tant de bons et de mauvais moments. Je suis incapable de te dire pourquoi c’est lui que j’écoute quand je reviens. Fauque est une source perpétuelle d’inspiration, et c’est d’ailleurs au son de sa voix que la majeure partie des billets que tu as déjà lu ont été écrits. J’ai une profonde tendresse pour cet homme-là, dont le génie me bouleverse.
Je pense qu’il a écrit les plus belles chansons qui m’ont été données d’écouter.
C’est tout. Merci Monsieur, pour tout ça.
Et puis je refais le cycle, dans l’autre sens. Je dois revenir. Reprendre ma vie d’avant avec mes valises de maintenant. J’ai toujours peur de l’inconnu, mais pas du même. Avant de partir, j’avais peur de ce que j’allais connaître là-bas, de l’environnement qui serait suffisamment inhabituel pour être déstabilisant, de perdre les pédales, de ne pas m’y faire. Au moment de revenir, c’est l’inverse. Je sais où je vais, mais j’ai peur de moi, de ce que je suis devenu.
Cette année a-t-elle été si irréelle ?
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Je me souviens bien de cette époque-là. J’habitais encore à Bruxelles, c’était l’été dernier. Le blog avait un an et je m’étais rendu compte que jamais je n’avais jamais écrit « pourquoi Jean Fauque », après vous en avoir parlé maintes et maintes fois.
J’étais aussi flippé. Flippé de voir une année de voyages et d’expériences incroyables prendre fin, comme ça. Flippé de devoir remettre les pieds dans une vie régulée, de devoir retrouver des habitudes que j’avais pris un grand plaisir à oublier… Cette année a-t-elle été si irréelle ? Justement non. C’est un souvenir, dont j’apprends encore des choses aujourd’hui. Je suis devenu quelqu’un de bien, si je crois ce qu’on me dit autour de moi pour l’instant. Je suis bien parti pour faire le métier que j’aime, les projets se bousculent et les rencontres sont au rendez-vous. Bref, j’écoute toujours Jean Fauque. Peut-être même plus qu’avant. Même quand je n’ai plus de valise à défaire.