PARTAGE
Je suis un peu fâchée ce soir, excédée par la déception que peuvent nous faire ressentir ceux que l’on pensait proches et qui
soudain vous rejettent.
Je ne vais pas élucubrer, c’est ainsi, je n’y peux rien.
Alors, j’attrape mon livre de contes, je m’enfonce dans le canapé et le plus téméraire de mes esprits vient aussitôt me rejoindre.
Les autres m’observent de loin.
Ils jouent l’indifférence, font mine de ne pas avoir vu le livre, mais dès que le premier m’aura ramenée à de meilleurs sentiments, et il est doué, ils arriveront à leur tour pour que je leur raconte une histoire.
Cela ne tarde pas, je ne suis pas du style à me complaire dans la souffrance, la vie est bien trop riche pour n’en voir que les mauvais côtés.
À la fenêtre, le vent souffle, les demoiselles Brontë semble-t-il ne sont pas loin, on se croirait en pleine campagne.
Est-ce le souffle du vent ? Le livre s’ouvre seul à une page qui raconte l’époque des foins.
Les herbes grasses, bonnes à couper n’attendent que ces machines modernes, si rapides, si efficaces, pour devenir de grosses et impressionnantes roues blondes entourées d’un film plastique permettant de les laisser sur place quel que soit le temps.
Plus vite
Toujours plus vite
La machine permet d'aller vite
Le plastique permet de gagner du temps
Il est si précieux le temps
Mais où vont-ils si vite
Ceux qui font les foins
Sur leurs grosses machines bruyantes ?
À quoi leur sert-il ce précieux temps gagné ?
Qu’en font-ils ?
Mystère…
Cela nous laisse songeurs les esprits et moi.
Il y a tant de belles choses à voir lorsque l’on prend le temps.
La vie des hommes est-elle en harmonie avec la vitesse ?
Cette question s’envole dans l’espace, sans réponse, elle erre…
Je feuillette machinalement quelques pages, mais une patte m’arrête,
« celle –ci ! »
Mains dans le dos, me regarde
La lune au loin l’accompagne
Des ombres bougent autour d’elle
Quel est votre secret
Demoiselle de la nuit
Que faites-vous ici à attendre
Seule parmi ces fantômes mouvants
Êtes-vous Dulcinée
Attendant que son amant la rejoigne ?
Allongé à vos pieds
N’est-ce pas Don Quichotte
Épée en main
Qui se dessine ?
Près de vous
Demoiselle de la nuit
Dans ce fouillis de formes généreuses
Un lutin
Couleur terre
Penché vers une rose
Semble chanter l’amour
Est-il bleu quand la nuit s’éteint ?
Un silence, une main qui glisse, quelques pages qui passent, un esprit qui s’inquiète :
« tu ne vas tout même pas laisser se refermer le livre ? »
Pardon, je rêvais. Je rêvais d’une rose
Une rose à peine esquissée
Sortie d'une écorce de rêve
Veinée de rouille
Avec juste un reflet de lune
Sur le fond vert de la forêt
Une rose rouge
Comme l'amour
Rouge comme un baiser
Une rose, telle que peut-être,
Un Lutin bleu la voyait
Et voilà que la page me raconte la mer, toute bleue elle aussi
Un voilier
Coque verte
Une voile bleue sur bleu
Une baie qui reflète
Une bourgade
Tout en couleurs
Un ciel qui danse
En bleu et blanc
Nous sommes au pays du soleil
C’est gai
C’est frais
Tout simplement
La page suivante s’impose.
Des chemins
Rien que des chemins
Chemin des bois
Verdoyant et léger
Parfumé de girolles
Chemins de brume
Vibrante de soleil
Où se cachent les rêves
Chemin des fées
Ondoyant dans les herbes
Y croise-t-on Merlin
Quand vient le crépuscule ?
Enfin
Chemin qui finit
Devant une clôture
Ici s’arrête le voyage.
Tout est si doux ce soir
Il faut profiter de l’instant.
Mais il est tard déjà…
Je ferme le livre
Je tire les rideaux
Il est grand temps d’aller dormir.
©Adamante