Voici un extrait d'un article de Stéphane Mallarmé publié dans L'Artiste le 15 septembre 1862 et intitulé Hérésies Artistiques (il s'agit du début de l'article, le reste est lisible sur Wikisource)
L’ART POUR TOUS.
Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s’enveloppe de mystère. Les religions se retranchent à l’abri d’arcanes dévoilés au seul prédestiné : l’art a les siens.
La musique nous offre un exemple. Ouvrons à la légère Mozart, Beethoven ou Wagner, jetons sur la première page de leur œuvre un œil indifférent, nous sommes pris d’un religieux étonnement à la vue de ces processions macabres de signes sévères, chastes, inconnus. Et nous refermons le missel vierge d’aucune pensée profanatrice.
J’ai souvent demandé pourquoi ce caractère nécessaire a été refusé à un seul art, au plus grand. Celui-là est sans mystère contre les curiosités hypocrites, sans terreur contre les impiétés, ou sous le sourire et la grimace de l’ignorance et de l’ennemi.
Je parle de la poésie. Les Fleurs du mal, par exemple, sont imprimées avec des caractères dont l’épanouissement fleurit à chaque aurore les plates-bandes d’une tirade utilitaire, et se vendent dans des livres blancs et noirs, identiquement pareils à ceux qui débitent de la prose du vicomte du Terrail ou des vers de M. Legouvé.
Ainsi les premiers venus entrent de plain-pied dans un chef-d’œuvre, et depuis qu’il y a des poëtes, il n’a pas été inventé, pour l’écartement de ces importuns, une langue immaculée, — des formules hiératiques dont l’étude aride aveugle le profane et aiguillonne le patient fatal ; — et ces intrus tiennent en façon de carte d’entrée une page de l’alphabet où ils ont appris à lire !
Ô fermoirs d’or des vieux missels ! ô hiéroglyphes inviolés des rouleaux de papyrus !
Qu’advient-il de cette absence de mystère ?