Il se tient comme un arbre totem, bras croisés, grand chef indien, et feint d’ignorer les effluves qui se dégagent de ma personne. Pour ça, je lui en suis gré et je ne lui fous pas un vent direct. Je suis surprise, il est plus grand que moi. Sa voix est rauque, sa peau trop bronzée. Il a un torse thoracique trop large, j’ai l’impression de voir son cœur battre. Sa bouche est lippue, sensuelle, indécente. Sa peau est rasée au silex, pas un poil ne dépasse. C’est con, il m’impressionne. Je n’ai jamais vu quelqu’un de si laid et d’aussi attirant. Alors, j’attaque :
- Bravo ! Vous avez réussi à vous dégager de vos ventouses mammaires.
- Oui, l’une d’entre elles est ma femme, je vous la présenterai. Elle sera ravie d’apprendre que vous admirez, tout comme moi, son décolleté.
- Pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire. Vous voulez un chewing-gum ?
Merde, j’en avais oublié mon haleine.
- Non, merci, je n’ai rien à cacher.
- Vous savez, ce n’est pas la peine d’insister. Je sais très bien qui vous êtes et je n’aime pas ce que vous faites. Et je ne vous demanderai même pas d’autographe pour ma mère, parce que, raté, elle est morte !
- Je suis désolé.
Il me contemple de ses yeux d’huskies. Il a tout son temps. Sa main, longue, fine, presque féminine, se lève, se glisse à l’intérieur de son cuir et en tire un paquet de clopes :
- Vous fumez ? Vous en voulez une ?
Nous sommes dans les années 90, on fume encore à l’intérieur. Je refuse, je ne bois ni fume. Il hausse les épaules, il n’en a cure. Il s’en allume une.
- Je vous ai observée pendant le dîner.
Je rougis comme une conne.
- Ah oui ?
- Vous savez ce qui me plaît en vous ? Votre timidité et votre ennui. Vous avez les chocottes à fond. Ca se voit. C’est attendrissant. Alors, vous préférez encore nous regarder tous de haut, bayer aux corbeilles et vous murer à triple tour. C’est dommage. Moi, je sens la femme en vous, même pire, la femelle.
- Je dois le prendre comme une caresse ou une insulte ? C’est votre habitude de sermonner les gens. Vous n’avez rien de mieux à faire ?
J’ai envie de lui cracher à la figure. Il m’agrippe la main. Paternaliste. Ecœurant.
- On se calme, ma jolie. Tout doux, tout ira bien.
- Je vais hurler.
- Allez-y ! Tout le monde s’en fout et il n’a jamais été interdit de dire les quatre vérités à quelqu’un.
- Mais pour qui vous vous prenez-vous ?
- Pour Johny, ça suffit, non ? Allez, viens, on va fumer dehors !
Je n’ai pas le temps de lui répondre. Il me broie la main avec ses grosses bagouses et m’entraîne dans les escaliers. Les têtes se tournent à notre passage.