Mais oui, je suis là. Bien là. Je ne peux être que là, tout près. Tout près de toi. Parce qu’à chaque instant je te vois. Je te vois comme jamais. Et là, j’ai mal. Mal de ton mal-être. Mal de voir la peine t’écorcher le cœur. À cause de moi.
Parce que j’ai voulu aimer. Apprendre à aimer. À aimer de tout mon être. Sans retenue aucune. Sans rien attendre en retour. Aimer. Aimer tout court. T’aimer. Toi.
Mais je n’ai pas su. J’aurais tellement voulu que ce soit toi. Oui, toi. Toi si magnifique, malgré tous tes travers. Toi, seulement toi. Je n’ai pas su t’aimer, car le verbe aimer me fait si peur. Terriblement peur.
Parce que la vie ne fait pas de cadeau. Pas seulement à toi, à personne. Pire, elle empoisonne même les cœurs les plus nobles. Ce que la vie donne, elle le reprend sans pitié.
Et ça, je le sais. Et je le sais, il me semble, depuis toujours. Et quand j’y pense plus longuement, je le sais depuis tellement longtemps, bien avant même de naître. Tellement, que je suis persuadée que je ne voulais pas naître dans cette vie-ci.
Pourquoi suis-je venue alors? Je ne sais pas. On a dû m’y forcer. Je ne vois pas autre chose.
Je t’ébranle? Une autre de mes « grandes vérités », comme tu les appelles.
Non, je ne voulais pas naître, je le sais.
Pourquoi je le sais?
Je ne t’ai jamais raconté cette histoire, mais voilà :
C’était un dimanche après-midi radieux. J’avais à peine deux ans. Il était rare que l’on sorte, à cause des grands-parents malades. Ce jour-là, tout allait bien.
— Et si l’on allait visiter Damien, lança ma mère.
Le cousin Damien avait une maison de campagne sur une île, dans les Mille-Îles. C’était toute une aventure pour nous, citadins. Nous devions prendre une petite embarcation pour nous rendre sur l’île. Juste avant de mettre pied à terre, je m’exclamai du haut de ma petite personne :
— C’est ici que je suis venue mourir!
Quelle phrase morbide pour une si petite fille!
Ce fut une journée atroce pour ma mère, m’a-t-elle raconté plus tard. Ce fut une journée atroce pour moi aussi.
Ma sœur a dû me tenir la main toute la journée. Pas moyen de lui échapper
Dommage. Peut-être me serai-je noyée ce jour-là, avais-je su me taire dans le navire? Je n’aurais pas eu à endurer cette vie, reçue gratuit, que je n’aurais jamais choisie de toute ma vie.
Cette histoire peut te sembler banale, mais elle ne l’est pas pour moi.
Si j’étais morte ce jour-là, je n’aurais jamais vu la souffrance de l’Homme ; la bêtise de l’Homme, qui force le venin hors de ma gorge trop souvent enflammée.
Quand je pense qu’on nous a fait croire en un Dieu « aimant »!
Il est vrai que, malgré les années, tu ne me connais pas. Mais comment connaître quelqu’un qui ne veut pas être?
Tu me demandes pourquoi je suis partie?
Parce que j’aurais dû partir sur cette île, il y a trop longtemps. Je l’ai réalisé à un certain moment. Quand j’ai cessé de croire que tu étais différent de ces Hommes. Je croyais que tu venais du même pays que moi, de la même étoile. Chaque fibre de mon corps le croyait.
Ce n’était pas ton odeur ; ce n’était pas ta voix ; ce n’était pas ton corps que je respirais, même si mes lèvres et ma peau te humaient. C’était ton âme, que je croyais pareille à la mienne, que je désirais.
Mais je ne savais pas comment aimer une autre âme.
Je croyais qu’offrir mon corps animal suffisait.
Erreur. Grave.
Nos âmes s’amenuisaient à chaque cri d’extase.
Ce n’est pas toi qui m’as chassée. C’est moi qui n’ai pas su rester. C’étais trop, trop.
Je te demande pardon pour tout ce que je n’ai pas su être.
Comme je voudrais que tu sois là, à cet instant précis, que tu sois là pour me dire :
— Ça va. Ça va. Ne t’inquiète pas. J’suis là. J’pars pas. Viens là. Raconte.
Filed under: Art sous toutes ses formes, La bêtise humaine, Mes délires et autres folies, Non classé, Parlons-en, Québec, Roman épistolaire Tagged: amour, amoureux, autofiction, écriture, Non classé, nouvelle, poésie, tristesse