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A force d’une mise en scène scrupuleuse et d’une communication millimétrée sur l’image de nos hommes politiques, à force d’en soigner les apparitions publiques, d’en aseptiser les discours, d’en contraindre l’humeur véritable et d’en réguler jusqu’au sourire devant les caméras de télévision, on avait fini par la cacher comme la poussière sous le tapis au prétexte d’une apparence de netteté. A force de la refouler, on avait tout simplement fini par l’oublier : la sexualité existe aussi chez nos dirigeants !
Les réactions aux propos de Luc Ferry le confirment : les ondes de l’affaire Strauss-Kahn continuent de perturber la vie sociologique et psychologique française. Les conditions médiatiques de l’arrestation et de l’incarcération provisoire du Directeur Général du FMI ont provoqué une forme de décompensation -un changement brutal d’état psychique- dans la classe politique nationale où l’on s’était confortablement habitué à prendre la surface des gens et des choses pour leur substance. Le choc. Il y en aura d’autres comme en témoignent la démission de Georges Tron et les rumeurs de l’ancien Ministre de l’Éducation qui nourrissent un climat délétère et une ambiance malsaine. La nouvelle irritabilité du champ politique, soudainement intolérant avec les scandales sexuels, trahit sa propre déliquescence : haro sur le providentiel bouc émissaire dont on espère que le sacrifice bruyant vaudra salvation pour le reste de la communauté. Si la pédophilie doit être condamnée, l’indignation hypocrite aux persiflages du philosophe consiste à prétendre se réfugier dans le Droit et à soumettre au seul traitement juridique un domaine aux ramifications actées plus étendues et aux frontières mentales plus floues. Au motif probable d’y trouver une réassurance personnelle, libératrice d’une culpabilité contre l’ensemble de ses propres fantasmes inconscients. "Entre le normal et le pathologique, la frontière est conventionnelle, tout individu la franchit plusieurs fois par jour", estimait le fondateur de la psychanalyse.
Voilà donc une société qui souhaiterait éliminer l’individualité au profit d’un humain psychiquement normé et à la sexualité invisible. Une sexualité dont on ne parvient toujours pas à comprendre les profonds entrelacs et la récurrente énigme. Une sexualité, perversion par nature toujours selon Sigmund Freud. Alors on scotomise et l’on feint de s’émouvoir jusqu’à l’écœurement lorsque s’opère un retour du refoulé sous la forme d’une affaire de mœurs. Une telle réaction est, à ce titre, indicatrice des angoisses d’une nation devenue finalement plus puritaine et vieillotte que les États-Unis mais qui s’en défend pour préserver un vernis légendaire de démocratie. Des recherches scientifiques sclérosées sur l’embryon aux législations sur l’enfermement psychiatrique -pour ne citer que deux exemples récents- la France s’enferre dans une arrogance désuète, déjà dénoncée avec fracas par Régis Debray en pleine célébration du bicentenaire de la Révolution française.
Il est un ultime enseignement des commentaires de Luc Ferry sur Canal+ : celui qui concerne le statut de la parole. Parole pourtant en prise directe avec la sexualité puisque la première s’étaye en quelque sorte sur la seconde. Coincée entre les risques de poursuites pour calomnie et ceux pour non dénonciation de crimes pédophiles, la phrase, constitutive de l’être parlant, s’immole en victime sur l’autel de la bienséance.
Les remous provoqués par les déclarations de Luc Ferry prolongeraient-ils le choc instauré pa...
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