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Ma Vie au ciel

Publié le 08 juin 2011 par Eric Mccomber
Je vis tout en haut d'une maison en hauteur, construite à cheval sur les vieilles fortifications du village. Le mur d'enceinte est là, sous une couche de peinture, deux étages sous moi. Ma petite chambre est bardée de fenêtres qui font toute la longueur des murs, côté nord et côté sud.
Mésanges, grives, pinsons, martinets, moineaux, fauvettes, serins et verdiers tourbillonnent autour de mon corps dès les premiers clignotements de l'aube. Mais ce sont les merles que préfère Modestine. Depuis quelques jours, elle n'en ramène plus un, mais deux par jour. Comme elle sait que je n'aime pas qu'elle dépèce ses proies dans le lit, elle va directement sous mon fauteuil et y procède au festin. Elle mange tout sauf quelques plumes. Je suppose qu'elle cherche de la protéine pour stimuler la croissance des chatounets qu'elle ballotte d'un côté l'autre dans son immense panse.
* * *
C'est une drôle d'ère. Je travaille beaucoup. Je m'amuse peu. Je suis tellement enseveli dans mes petits châteaux de sable qu'il faut chaque fois me forcer pour aller faire un tour, vers la fin de l'après-midi. Je me suis réveillé plein d'enthousiasme presque toute ma vie, quelle qu'ait été ma situation (parfois bien précaire). Mais ce n'est plus trop le cas. Je vieillis. C'est ainsi, ça devait arriver un jour. Je suis de mauvais poil. Je ne connais qu'un traitement efficace contre cette tragique condition, travail, travail, travail. Alors, bon.
Tout de même, ça me fait du bien de revenir un peu ici, sur Rosie. J'ai l'impression de faire partie d'un petit village intangible dont plusieurs habitants me respectent et où habitent également de nombreuses personnes dont j'aime les œuvres ou la façon de penser. Mon isolement m'en parait moins sévère. Sinon, ma vie est splendide et j'apprends à composer à long terme avec toute une série de manques et de carences. Comme je n'y peux pas grand'chose, je me convaincs que ça fait partie de mon épanouissement.
Je sors dehors et je marche dans les rues. Sauve a beaucoup changé en trois ans. La religion reprend de la vigueur et de la popularité; les deux églises font des affaires d'or. L'imbécilité connaît des jours heureux. Les voitures sont devenues innombrables et roulent en malades dans les petites rues, s'esquintant les flancs sur des pierres maçonnées en l'an 900. Un ruminant qui habite sur la placette devant chez moi sort son petit poste nasillard sur le rebord de sa fenêtre et passe en boucle un loop de rap tri-centenaire plombé de paroles navrantes. On ne voit plus guère Agnès Bertrand, Aline et Robert Crumb, les grands écrivains du village. Est-ce un hasard si le poète Florian qui a écrit «vivons heureux, vivons cachés» est né ici même, dans la rue du Pont Vieux? C'est comme si les adultes vivaient terrés, terrifiés par ce monde où règnent d'irréductibles enfants de 80 kg. «Les collines mépriseront les montagnes», prévenait Hamsun, au dix-neuvième siècle. Ou était-ce Nietszhe? © Éric McComber

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