Je vais le dire comme je le pense : au secours ! Assez de ces mots vidés de tout sens, assez de ces fausses médiations créatrices de liens cassés, assez de ces organisations organisationnelles qui remettent de l’ascendant là où seul l’horizontal survivait, qui prétendent définir et stérilisent à chaque impulsion ce qui était passion, ce qui était vertu, ce qui était conscience en lutte avec elle-même. Assez de la perte de raison pour les beaux yeux de la rationalité. Je ne suis pas de ce monde-là, non, sûrement pas, un monde dans lequel les mots sont sérieusement et crûment déshabillés de leur chair, et c’est la définition de la pornographie, un monde dont la langue a pour objectif premier, pour objectif dernier, de ne dire que la surface des veines mais qui ne sait plus creuser l’épiderme ni au scalpel du sens ni à la lame de la clarté. Et ce n’est pas une langue morte. C’est la langue commune.
Mais nous en crevons, n’est-ce-pas ? Tous, sans le savoir. Parce qu’il ne s’agit plus de peser les mots au trébuchet de la réalité ressentie, mais d’imposer terme après terme le décryptage du langage comme seule passerelle de communication viable. Et plus jamais nous ne parlons des choses, ou des êtres, et toujours nous discutons de la façon dont nous parlons des choses ou des êtres. C’est le chant du monde qui s’éteint doucement lorsque viennent à la bouche des « éléments de langage ». C’est ma conscience d’être vivante, et peut-être sensible, qui s’effiloche en fumée même pas noire quand jour après jour, je m’interroge sur la manière de médiater mon métier. Et ma vie aussi, tant qu’à faire. Et la réalité des autres, de ceux-là que j’aime, de ceux-là que je ne comprends pas mais que j’avais tant, que j’avais si désespérément, essayé de dire à ma façon. La quête était vaine, elle est devenue inaudible. Et je me sens mourir d’asphyxie dans un monde qui transpire d’abondances syntaxiques.