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Le désir d'apocalypse.

Publié le 13 juin 2011 par Sebastienjunca

Force est de constater que le plus souvent, la beauté et le bon goût sont inversement proportionnels à la fortune de ceux qui s’en réclament. En effet, le premier milliardaire venu ne semble avoir d’autre alternative, pour jouir de son temps libre et de sa fortune, que de sacrifier aux lieux communs qui font suite au premier milliard d’euros ou de dollars capitalisé. N’importe quel dictateur, industriel ou émir du Qatar aura tôt fait de se procurer le dernier modèle de voiture de grand luxe ; de couvrir d’or et de diamants la moindre surface visible de son énième palais aux dimensions démesurées (et jusqu’aux lieux d’aisance) ; de s’acheter le plus gros modèle de yacht ou d’avion privé jusqu’à repousser jusqu’à leurs plus lointaines limites les dimensions du ridicule, de l’ineptie et de l’absurdité. L’architecture quant à elle, subit invariablement les mêmes effets du mauvais goût du luxe. Il n’est qu’à voir Dubaï et son développement grotesque pour constater l’indigence de ses financiers et autres nababs en matière de beauté, d’art, de sensibilité et d’harmonie.

Nos plus grands édifices comme nos plus modestes réalisations sont toujours le reflet de ce que nous sommes au fond, et l’argent n’y peut jamais rien changer. Autant dire que Dubaï est une caricature d’elle-même dans la psychorigidité, la mégalomanie, l’absence totale de créativité, de bon sens, de respect de la terre, de sensibilité, d’humilité et autres vertus désespérément absentes de ce désert écologique aussi bien que spirituel.

Mais qu’est-ce que la beauté au fond ? Bien sûr, qui ne s’est pas un jour retourné sur les lignes puissantes, racées, pures et élancées de n’importe quelle voiture de sport ? Mais cette beauté, à l’origine singulière, que devient-elle lorsqu’elle devient aussi répandue que l’air qu’on respire ? Dès lors que l’homme peut tout avoir, il perd aussitôt le goût et la saveur des choses, fussent-elles les plus chères, les plus fragiles, les plus rares ou les plus merveilleuses. Et jusqu’à perdre le goût de la vie elle-même. Réduit de la sorte à une éternelle insatisfaction, tout homme se voit désormais contraint d’avoir recours à tous les expédients possibles et imaginables que lui permettent son pouvoir et sa fortune. Peine perdue ! Car l’expérience montre le plus souvent que la plupart des plaisirs trouvent leur source dans toutes les formes de manque, d’indigence, de rareté et de frugalité et jamais dans l’abondance et la satiété qui mènent rapidement au dégoût et à l’ennui. Car de la même manière que l’œil depuis longtemps privé de lumière est à même de discerner le monde dans la plus complète obscurité et d’y trouver beauté et plaisir ; une vie simple et frugale est à même de fournir les plus inépuisables sources de joie. De celles qui aident à mieux vivre et qui participent à n’en pas douter d’un authentique bonheur. Le pouvoir, la toute puissance, deviennent d’un ennui mortel sitôt que rien n’est plus en mesure de leur résister.

Quand la plupart des réalisations humaines semblent mettre exclusivement en avant la seule volonté de puissance dénuée de toute beauté ; la nature quant à elle est à même de nous donner la leçon en alliant les deux dans la plus parfaite harmonie et sans jamais nuire à la vie.

Toute création qui de près ou de loin est un tant soit peu imprégnée de vie est dès lors susceptible d’accéder au beau. C’est ce que tout artiste digne de ce nom, le plus humble soit-il, est encore capable d’accomplir, tout comme n’importe quel fait naturel, dérisoire ou gigantesque. Or, dès lors que la vie est ignorée, évincée, évacuée d’une œuvre quelle qu’elle soit, la beauté, comme son ombre, s’évanouit aussitôt. Ne laissant plus qu’une œuvre morte, avortée. Squelette desséché, coquille vide et démonstration absurde d’une puissance en définitive stérile. Car pire que la mort, c’est bien l’absurde qui se voit désormais couronné en lieu et place de la vie. La mort, elle, serait un moindre mal. Ombre portée de la vie dont elle sert la cause, elle est aussi empreinte de beauté, de création et de renaissance. Mais l’absurde lui, bien au contraire, n’est rien d’autre qu’une sorte de néant à perpétuité. Et il semble bien qu’il atteigne des sommets inégalés (au propre comme au figuré) là où les possibilités à la fois financières et matérielles des hommes atteignent leur paroxysme.

Je doute que tous ces émirs, riches industriels ou stars de cinéma avides d’îles désertes ou de palais vénitiens soient véritablement plus heureux que le commun des mortels. Bien au contraire, il semble que plus leur richesse s’accroît, et plus le malaise et le mal-être l’accompagnent. Dès lors, certains se mettent en quête de payer leur taxe au destin en consacrant des millions à des œuvres humanitaires à grand renfort de publicité. Mais la bonne conscience ne se monnaye pas plus que le bonheur ou le beau. D’autres essaient en vain de cacher leur fortune comme une maladie honteuse en se revendiquant « du peuple ». Les poches pleines à craquer on met en avant ses origines modestes en espérant que chacun ne retiendra de l’expression « fils ou fille de pauvre » que le seul mot « pauvre ». D’autres encore tâchent en vain de faire oublier leurs millions en se revendiquant politiquement « de gauche ». Autant de supercheries qui ne trompent en définitive personne.

Le pire dans tout çà, c’est que l’insatiable quête des plus riches et des plus puissants les poussent à contaminer toujours davantage une planète déjà exsangue.

En définitive, n’est-ce pas véritablement vivre « au-dessus de ses moyens » que de dépenser des fortunes pour le plus absurde, le plus inepte et le plus vain des projets : tromper l’ennui ? Les gens les plus riches ne sont pas ceux qu’on croit. Malheureusement, l’indigence créatrice des plus nantis est le plus souvent inversement proportionnelle à leur pouvoir de destruction. L’émirat de Dubaï en est la parfaite illustration.

Aussi, et nonobstant le nombre de victimes qu’occasionnerait un tel cataclysme, il m’arrive parfois de rêver à la montée terrible et magnifique d’une vague de salubrité qui viendrait d’un coup balayer de la surface de la Terre de si disgracieux furoncles ; de si dangereuses tumeurs. Je revendique ici le droit à la misanthropie en souhaitant que la nature reprenne enfin ses droits et nous rassoie à la place qui est la nôtre : celle d’un épiphénomène dérisoire, insignifiant et vulgaire ; nocif pour lui-même comme pour toute autre forme de vie et de beauté.

Sébastien Junca.


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