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La loge a transpirer

Publié le 15 juin 2011 par Honorquest

EE-010706 505-copie-1Le week-end passé nous avons eu pendant une belle journée de soleil, un beau "sweat", (hutte de sudation). Doux, calme, puissant mais tellement bénéfique. Je remarque qu'après vingt ans à conduire cette cérémonie de purification qu'elle devient de plus en plus simple et puissante mais sans tous le dramatique et le spectaculaire qu'elle comportait dans mes premières années de pratique. Je me souviens du fiasco du premier sweat publique que j'ai animé. Je ne savais pas encore parler aux éléments, il avait plu des cordes, tellement que le trou était rempli d'eau et éteignait les pierres avant qu'elle ne puisse chauffer la loge. MDR. Mais bon, on apprend en accomplissant. Bien des centaines de cérémonies plus tard je vois les guérisons et les réalisations qu'offre cette cérémonie mais plus calmement, plus naturellement qu'au début. Pour le bénéfice de ceux qui ne connaissent pas cette cérémonie je vous offre un extrait de mon dernier volume "LE SENTIER DE LA BEAUTÉ".

"La loge à transpirer est la plus ancienne de toutes nos cérémonies. Si nous remontons suffisamment loin dans l’histoire, nous constatons que tous les peuples l’ont utilisée à un moment ou à un autre de leur histoire. Certains en ont conservé le côté physique sous une forme différente : les bains saunas, les bains japonais et turcs, les saunas finlandais. Par contre, les autochtones d’Amérique du Nord ont gardé l’essence spirituelle de cette pratique vivante.

Il existe trois sortes de loges à transpirer. La première, la loge physique, est davantage utilisée comme bain de vapeur, comme un moyen de se nettoyer le corps en profondeur. Le rituel est réduit au minimum et les gens peuvent parler plus librement à l’intérieur. La seconde, la loge spirituelle, est plus cérémoniale et comporte des chants, des gestes dans un ordre précis et un symbolisme rituel plus élaboré. La dernière loge est celle dite de guérison. Elle est habituellement plus intime et axée sur les soins à porter pour des raisons précises à une personne en particulier. Je pratique surtout la loge spirituelle. La loge spirituelle est construite de façon très respectueuse sur un site sain, c’est-à-dire libéré de toute influence toxique dans l’environnement. Il est important qu’elle soit située dans un endroit où il n’y a pas de noeuds ni d’influences telluriques perturbatrices. Nous consacrons le lieu et demandons aux esprits du lieu la permission d’ériger notre construction. Nous leur présentons des offrandes pour les remercier et les apaiser. Les loges sont construites en bois de saule. Cet arbre est sacré pour les Amérindiens à cause de ses nombreuses propriétés médicinales. Ils en utilisent notamment l’écorce interne, l’aubier, pour le mélanger avec le tabac sacré ou comme tisane contre les maux de tête et les douleurs. Son bois est malléable et pousse près de l’eau. À l’intérieur de la loge, ses principes actifs permettent de mieux supporter l’intense chaleur. Les branches sont cueillies respectueusement, avec prières. Idéalement, ces constructions sont érigées au printemps parce qu’à cette époque, l’écorce qui servira à attacher la charpente s’enlève facilement. Une fois montées, les loges servent en général toute une année. Dans le centre de la loge, un trou est creusé, qui représente le nombril de la Terre Mère. Il recueillera les pierres brûlantes et de lui émanera la vapeur purificatrice qui nettoiera les participants jusqu’au plus profond de leur être. La terre bénie qui a été retirée du sol nous servira à façonner une tortue de terre à même le sol. C’est l’autel tortue. Cette terre bénie est alors amenée le long d’un sentier, le sentier de l’esprit, qui court depuis le nombril jusqu’à l’autel tortue situé devant la loge. Les Grands-Pères du règne minéral occupent une place prépondérante dans ce rituel. Ils donnent leur vie afin que nous puissions nous purifier. À quelques mètres devant l’entrée de la loge, nous préparons l’emplacement du feu sacré. L’importance du foyer sera déterminée par le nombre de roches, appelées « Grands-Pères », qui seront déposées en son centre. Le feu sera monté selon une technique bien précise. Quelques heures avant d’entrer dans la loge, il sera allumé et béni selon un rituel sacré. À ce moment, des offrandes particulières lui seront présentées et la naissance des premières flammes marquera le début de la cérémonie. L’Esprit de la transformation sera officiellement invité à se joindre aux participants. Une fois le feu allumé, nous demandons aux gens présents de respecter le silence. Ce geste de purification que nous acceptons de poser constitue un grand moment dans nos vies. C’est l’une des choses les plus importantes que nous puissions accomplir. Après quelques heures, lorsque les pierres sont bien rouges, les gens se rassemblent pour recevoir les directives concernant le déroulement de la cérémonie et pour prier. Nous pénétrons dans la loge du côté sud de la porte (le sentier de l’esprit est au centre de la porte et la divise donc en deux parties) et circulons dans le sens du soleil, pour sortir du côté nord de la même porte. Si les gens ont besoin d’aide à l’intérieur, nous les instruisons sur la manière d’exprimer leurs besoins. Ils peuvent demander que nous déposions un peu de tabac pour eux dans le feu sacré, que nos relations prient pour eux, et ils peuvent aussi demander que la porte soit ouverte. Si les gens désirent sortir, je les y autorise. Tous les dirigeants de loge n’envisagent pas cela de la même façon. Certains vont exiger que les participants demeurent à l’intérieur jusqu’à la toute fin de la cérémonie. Quant à moi, je préfère laisser les gens libres d’agir à leur guise. Lorsqu’ils sentent que le temps est venu pour eux de se retirer de la loge, je permets qu’on leur ouvre la porte. L’important, dans cette cérémonie, est de se sentir à l’aise. Plus nous sommes détendus, plus la purification est efficace. Les participants pénètrent dans la loge selon un ordre précis et lorsque tous ont pris leur place, nous fermons la porte pour la première ronde

Cette première étape est consacrée à la Terre Mère, dans le sein de laquelle nous cherchons refuge. Là, nous retrouvons la chaleur, le confort et la sécurité du ventre maternel. Nous sommes nourris par l’énergie qui nous vient de son nombril, nous sommes reliés à elle par un cordon ombilical infiniment bon. Notre corps entier s’emplit de gratitude et de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont elle nous a gratifiés. À tour de rôle, les participants s’identifient et expriment les raisons qui motivent leur présence. Nous prions et chantons pour la terre et le tambour d’eau résonne, alignant les battements du coeur de la terre avec les nôtres. La paix et la sérénité descendent sur nous. Nous posons nos fronts contre le sol, permettant aux énergies et informations que la terre veut nous offrir d’entrer en nous. Lorsque les dernières prières silencieuses sont offertes à la terre, la porte s’ouvre, c’est la fin de la première ronde. Nous respirons l’air frais qui pénètre dans la loge, nous sommes infiniment bien. Quelquefois nous apercevons la lumière du jour, d’autres fois la noirceur de la nuit et le rougeoiement du feu en face de la loge. Nous sommes bien au chaud et la sueur coule librement sur nos corps. Même au coeur de l’hiver, la chaleur réconfortante de la loge nous enveloppe et nous fait oublier les rigueurs de la dure saison. Tous réunis dans le sein de la Terre, nous affirmons notre volonté de nous purifier et de ressembler le plus possible au Créateur. Nous invitons les autres Grands-Pères à entrer dans la loge pour la deuxième ronde. Chaque fois qu’une nouvelle pierre est déposée au centre, nous crions « Koué Nimoushum », ce qui signifie « Bonjour Grand-Père », en Innu aimun (langue montagnaise). Nous l’honorons et le remercions ainsi d’avoir offert sa vie pour que nous puissions bénéficier de sa présence durant cette cérémonie. Au cours de ce rituel, les pierres qui sont chauffées au rouge souvent meurent. Lorsque ces Grands-Pères qui ont servi pour une loge sont échappés sur le sol, la pierre souvent vole en éclats. Elle a perdu sa dureté et l’esprit qui l’habitait s’en est retiré. Elle est friable et n’a plus de cohésion. Elle a donné sa vie afin que nous puissions nous purifier. Ainsi, lorsqu’elles sont déposées au centre de la loge, les participants les accueillent avec vénération. Nous leur présentons des offrandes de foin d’odeur et de cèdre frais (qui contribuent aussi à purifier la loge et les participants) et la porte se referme de nouveau.

La deuxième ronde est dédiée à l’eau, cet élément essentiel qui nous guérit, nous nettoie et nous purifie, ce liquide béni qui compose la majeure partie de notre corps ainsi que celui de la Terre Mère (nous disons de l’eau qu’elle est le sang de la terre). La ronde de l’eau est souvent le cycle le plus pénible. Nos émotions nous font souffrir et pourtant, très souvent, nous sommes attachés à elles. Accepter de les regarder, de s’en détacher et de s’en libérer sont autant d’expériences difficiles, mais ô combien salutaires! Nous chantons le chant des ancêtres afin qu’ils nous aident à traverser cette étape le plus sereinement possible. Nous nous défaisons des illusions et des émotions négatives qui ont entravé notre route. Nous invitons les participants à se laisser aller, à faire le vide. Les émotions et les chaînes de comportements (« patterns ») destructifs retournent à la terre, nous libérant de leur poids. L’eau bénie et sacrée fait le tour de la loge et chacun boit cet élixir qui peut guérir bien des maux du coeur comme du corps. Les gens sont aussi parfois aspergés et reçoivent avec soulagement sur leur peau la fraîcheur de l’eau imprégnée des fragrances du cèdre et des autres essences qui y sont parfois déposées. La porte s’ouvre, laissant entrer l’air pur et vivifiant du dehors.

Nous appelons de nouveaux Grands-Pères que nous bénissons avec des feuilles de cèdre. Nous nous retrouvons de nouveau dans le noir, sur le chemin de la troisième ronde. L’air est la nourriture la plus importante qui existe pour tous les êtres qui respirent. Nous pouvons nous passer de nourriture pendant des mois, d’eau pendant plusieurs jours, mais si vous tentez de cesser de respirer pendant cinq minutes, j’irai à vos funérailles. Privés de cette fonction vitale, nous ne pouvons espérer survivre. La nourriture la plus importante nous vient du souffle. Il est l’esprit qui anime le vent. En nous, il représente la pensée. Le vent est invisible mais nous sentons sa présence. Nous voyons les arbres se laisser bercer et caresser au gré du vent. Nous savons sa douceur, mais aussi sa violence. Nous connaissons les effets d’un vent en colère, l’énergie et la force d’une tornade, d’un ouragan. Il en est de même pour nos pensées. Bien qu’elles soient invisibles, elles ont pourtant un effet très réel sur le monde. Les pensées adoptent mille et une formes, allant de la plus positive à la plus négative. Elles ont des effets à court, moyen et long terme. Ainsi, de nouveau nous chantons et accomplissons les rituels qui nous aident à purifier notre corps mental. Nous purifions notre respiration et nous remercions le vent de tous ses bienfaits. Ce maître nous enseigne qu’il est possible pour tous, sur la planète, d’avoir de quoi manger en quantité suffisante et de recevoir ce qui est nécessaire pour mener une bonne vie. Il s’agit simplement de bien redistribuer les richesses que nous possédons. De la même façon que le vent distribue l’oxygène à l’ensemble de la planète, de la même façon il est possible qu’aucun être humain ne meure de faim. C’est l’enseignement du vent. À la fin de nos pratiques, la porte s’ouvre et c’est la fin de la troisième ronde. Les gens qui le souhaitent peuvent sortir quelques instants.

Lorsque nous sommes de retour dans notre cocon bien chaud, nous invitons les derniers Grands-Pères à venir nous rejoindre pour la ronde finale. Nous dédions cette quatrième ronde au Grand Esprit, au Créateur. C’est la ronde du feu, celle de la transformation et de la vie. La lumière qui est notre essence, l’âme et l’esprit en nous et dans le monde, voici les éléments qui nous imprègnent dans la hutte de la quatrième ronde. Nous prions pour tous les êtres. Nous purifions notre corps spirituel et appelons la transformation ultime. C’est à ce stade que les visions arrivent et que les messages sont donnés. Lorsque cette ronde est terminée, la porte s’ouvre pour la dernière fois. Les gens sortent de la loge à transpirer et se dirigent immédiatement vers la rivière ou le lac pour s’asperger d’eau froide. À défaut de se trouver à proximité d’un cours d’eau, ils utiliseront les seaux d’eau qui auront été placés à proximité. S’asperger la peau pour recevoir la bénédiction de l’eau froide, particulièrement à l’arrière de la tête, fait partie intégrante de la cérémonie, parfois oubliée par certains cérémonialistes. Un dernier cercle est ensuite convié. Nous prononçons les dernières prières. Nous nous saluons les uns les autres, nous remerciant mutuellement d’avoir participé à cette purification. Nous remarquons à quel point les gens ont changé, les visages rayonnent. Ils sont profondément heureux. Un véritable rajeunissement s’est effectué. Des gens m’ont confié que les loges à transpirer qu’ils avaient vécues avaient continué de produire des effets pendant plus de trois mois. Beaucoup de gens ont été purifiés de leurs dépendances. D’autres ont été guéris. Plusieurs ont compris des messages ou ont reçu des visions. La loge à transpirer est l’un des mystères les plus sacrés et les plus bénis des peuples amérindiens. "


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