PARTAGE
La journée fut écrasante de chaleur.
Dans la douceur relative du soir, à peine vêtus… que dis-je ? les Esprits n’ont jamais que deux tenues, celle d’hiver, qu’ils ont rejetée sur mes tapis, et celle d’été, ce détail, de toute évidence, ne vaut que pour moi.
Donc, à peine vêtue, je prends place sur le canapé sans qu’aucun esprit ne me rejoigne.
Pas de frotti-frotta ce soir, je leur en sais gré.
Ils s’allongent à même le sol à mes pieds, ils s’étalent pour capter la moindre particule de fraîcheur, puis ils me fixent, me signifiant ainsi que la séance de lecture peut commencer.
J’ouvre nonchalamment mon recueil des contes de la toile si élégamment illustré,
Un pré
Au printemps
Une licorne attentive regarde un vieux cerisier
Sage parmi les sages
L’arbre tout blanc, couvert de fleurs, lui raconte une histoire
Tout autour d’eux la forêt grimpe à l’assaut d’un mont
Il lui explique qu’elle garde une porte invisible
La porte des rêves de son enfance
C’était il y a si longtemps…
Une porte qui s’enfonce dans la magie
Derrière il y a un jardin
Un jardin où poussent des framboises
Des fraises des bois
Des fleurs éblouissantes
Un jardin de rires aux éclats
Éclats de cascades
Éclats de bonheur infini
Avec des voix qui se sont tues
Des voix qu’il a aimées
Des voix que j’ai aimées
Des voix que soudain je retrouve
Que je goûte avec émotion
Des voix qui me parlent d’amour
Des mains qui offrent à ma bouche
Un fruit cueilli rien que pour moi
Et des sourires qui se donnent
Sans rien attendre en retour
que mon bonheur…
Je retrouve tout cela
Rien qu’en écoutant l’image
Vous pensez que j’exagère ?
Que c’est là verbiage de poète
Poussez la porte
Observez
Prenez le temps d’écouter
Le livre a décidé de s’ouvrir seul ce soir,
Ma main est trop lasse pour le contraindre et les esprits trop fatigués pour tendre la moindre patte.
On pourrait croire qu’ils dorment, mais je sais qu’ils ont pénétré un autre monde.
Un monde de campagne et d’odeurs de jardin,
Un monde à leur mesure,
Un monde qui abrite des merveilles que leur suggère leur instinct de chasseur.
Entrez dans le domaine secret des Esprits
Imaginez…
Un champ, des arbres, une remise
Peut-être quelques loirs,
Aussi quelques souris
Et inscrites dans la Terre
Quelques marques olfactives
Révélant des passages furtifs
Comme autant de signatures de vie
La maison des noix
Promesse de récolte
Au goût savoureux
À peine une cabane
Et tellement d'espoir...
Un peu plus loin, derrière la haie, au jardin, une rose est née
Rose chamarrée
Floraison de soleil
Joie et tendresse
Un geste pour l'offrir
Un sourire en retour
Une rose…
Je ferme les yeux
Voilà que mes pensées battent la campagne
Roses
Reines
Adulées parce que sublimes
Décriées parce que trop encensées
Mais toujours reines
Quelque chose attire mon attention
Un parfum très délicat
M’annonce une visite
Exhalaison de lumière
Une rose à la fenêtre
Me parle de bonheur
Voilà qu’un Esprit fatigué se met à ronfler, je souris.
Je me lève sans faire de bruit
Je ferme le livre
Je tire les rideaux
Il est grand temps d’aller dormir.
©Adamante