Magazine Journal intime

Gide

Publié le 12 février 2008 par Stella

Je voulais intituler cette note “Voyage au Congo”. Prétentieux comme titre, non ? Pourtant c’est vrai, je rentre d’un voyage au Congo, non dans l’ex-Congo belge, comme André Gide, mais dans celui qu’on surnomme le Congo Brazzaville.

Du coup, ça m’a rappelé une charmante réflexion de mon ex-patron. Dans mes débuts au journal, je faisais un peu de correction et réécriture, du desk comme on dit en jargon maison. M’échoit un jour un papier rédigé par un poète connu, que le patron contraignait à faire des éditos et qui, visiblement, détestait l’exercice. Résultat, c’était illisible, jargonnant, prétentieux et égotiste. Je m’efforçais donc, en bon petit oeuvrier discipliné, d’améliorer le texte sans trop dénaturer la pensée de l’auteur.

Il faut croire que je n’avais pas grand talent pour le faire, car le poète connu en vint à se plaindre. On me releva donc de mes fonctions, à mon grand soulagement je l’avoue. L’affaire n’en est cependant pas demeurée là. Quelques temps plus tard, l’auteur se plaignit à nouveau des bons offices d’un autre deskman, un dinosaure de l’entreprise pourtant. Le différend est porté jusqu’à la réunion de rédaction. Furieux, le patron s’emporte : “Enfin, comment osez-vous corriger le texte de monsieur Machin ! C’est criminel ! C’est comme si Gide était corrigé par… par… ” et dans sa fureur, il ne trouve qu’un seul nom à éructer : le mien.

La scène était désagréable, mais je n’ai pu m’empêcher de rire intérieurement. Gide ! Quelle comparaison ! Le remarquable auteur de La Porte étroite et de L’Immoraliste a dû se retourner dans sa tombe, ce jour-là… De toute évidence, le patron n’avait jamais lu une seule ligne dudit poète connu qui ne soit pas passée au préalable sous les fourches caudines de sa machine à corriger maison. Ou alors, il avait parcouru quelques vers qui, licence poétique aidant, n’étaient pas désagréables. Mais résultat de la scène : nous laissâmes intacte, pour le numéro suivant, la prose de celui que je surnommais désormais “Gide”, tout en prenant l’élémentaire précaution de soumettre la copie à notre irrascible boss.

Il s’est probablement étranglé à partir de la troisième phrase… Nous avons donc vu revenir le corpus delicti nanti d’une note conclusive : “L’auteur n’a probablement pas été inspiré cette fois-ci. Voyez ce que vous pouvez faire avec ce texte”. C’est ce que j’appelle une amitié indéfectible. Enfin… presque, car “Gide” a été démis de ses obligations éditorialisantes dans le mois.

Bon, allez c’est promis, la prochaine fois je vous parle du Congo !


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