Mots clés : e-G8, livre numérique, culture, FRANCE, Frédéric Mitterrand, GOOGLE A, AMAZON.COM
Par Marie-Catherine Beuth, Enguérand Renault20/05/2011 | Mise à jour : 20:24 Réactions (51)
Frédéric Mitterrand le 20 mai dernier. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro
INTERVIEW - Le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand pose les conditions d'un dialogue avec les géants américains de l'Internet réunis à Paris pour le e-G8 Forum la semaine prochaine.
En France, le ministre se réjouit de la mission que François Fillon vient de confier à Michel Boyon, président du CSA, sur l'évolution de la TNT et les chaînes compensatoires.
LE FIGARO.- Quel message défendrez-vous devant Google et Amazon lors du e-G8 ?
Frédéric MITTERRAND. - Il ne peut pas y avoir de développement numérique équilibré sans régulation des pouvoirs publics. Par exemple, quand je suis arrivé au ministère, nous étions en pleine polémique à la suite des discussions conduites entre Google et la BNF. Nous y avons donné un coup d'arrêt, car il s'agissait de fixer certains principes. La difficulté, c'est que Google est persuadé de son bon droit et avance comme un rouleau compresseur, fort de sa formidable capacité d'innovation. Notre action a cependant été efficace, l'attitude générale de Google ayant beaucoup évolué. Nous négocions et discutons constamment avec les acteurs du numérique, Google, Apple, Amazon. Face au déferlement de nouvelles pratiques et aux transformations économiques en cours, il faut établir des règles claires, pour que ne s'impose pas la loi du plus fort et que soit pris en compte l'impératif de diversité culturelle, qui est lui-même un moteur de la croissance économique. Par ailleurs, il n'est pas raisonnable d'imaginer que les géants de l'Internet vont construire des modèles économiques prospères, grâce à la présence de contenus et d'œuvres culturelles, sans participer à leur financement. Les acteurs de l'Internet doivent le comprendre et contribuer bien davantage à financer la création.
La France a adopté le prix unique du livre avec une clause d'extraterritorialité. Comment le faire accepter de Bruxelles ?
Il nous faut définir nous-mêmes, notamment au niveau européen, le cadre dans lequel nous voulons travailler, afin de ne pas subir les transformations en cours. C'est pourquoi j'ai appelé mes partenaires européens à une réflexion urgente sur la politique du livre numérique. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas sont sur une ligne proche. Le gouvernement français développe des arguments fondés sur l'exigence de diversité culturelle, pour convaincre la Commission. Ce combat pour la diversité culturelle à l'ère numérique rejoint celui de la compétitivité de nos industries culturelles, et en particulier la question de la TVA sur les biens culturels en ligne. Compte tenu du paysage économique général de l'Europe, nous avançons dans un contexte difficile. Le bon sens nous dit que la TVA devrait être la même pour le papier et pour le numérique. Je porte en tout cas fortement tout ce qui va dans le sens d'une politique numérique européenne, car je suis frappé de voir que le numérique n'occupe pas encore une place centrale dans les programmes culture et média de l'Union européenne.
Quel bilan tirez-vous d'Hadopi, qui semble avoir meilleure presse à l'étranger qu'en France ?
Hadopi fonctionne bien et va continuer à monter en puissance. Les derniers chiffres sont très encourageants puisqu'ils indiquent que 50 % des internautes français considèrent que la mise en place de l'Hadopi est une bonne initiative. L'envoi de recommandations conduit la moitié des internautes à arrêter de pirater et 22 % à diminuer leur consommation illégale. Je sais que la communication et la pédagogie de la haute autorité vont se poursuivre et même se renforcer : l'Hadopi ne doit pas être perçue comme une institution répressive mais comme un organisme qui protège le droit d'auteur et promeut l'offre légale d'œuvres culturelles sur Internet.
La Carte musique jeune n'a pas eu de succès. Qu'allez-vous faire ?
Son ergonomie était trop compliquée. Nous avons commencé à simplifier le dispositif, et la Carte musique est disponible désormais en trois clics. Nous proposerons prochainement une Carte musique rénovée, qui sera disponible aussi bien sur un support physique qu'électronique.
Le loueur de vidéo en ligne Netflix est un phénomène aux États-Unis. Craignez-vous qu'il s'installe en France ?
Le colloque organisé récemment par le Conseil supérieur de l'audiovisuel sur la télévision connectée a permis de prendre la mesure des bouleversements que pouvait induire la télévision connectée, voire l'arrivée en France d'acteurs comme Netflix. Je remarque d'abord que les chaînes de télévisions françaises ont travaillé vite et adopté une charte commune pour répondre à certaines des questions posées par les TV connectées. Concernant Netflix, je rappelle qu'il existe une chronologie des médias pour la diffusion des films qui a été acceptée par les professionnels du cinéma, les chaînes de télévision et les opérateurs télécoms, et qui permet de financer la création. C'est un socle très solide, qui nous permet notamment d'avoir le deuxième cinéma du monde. Si Netflix arrive en France, dans ses relations avec les professionnels et avec les pouvoirs publics, il devra prendre en compte et respecter ce socle.
Est-ce un argument dans le dialogue avec Canal + à propos de son projet de chaîne gratuite ?
Selon la loi, Canal + peut déposer un projet de chaîne compensatoire. Mais le projet de chaîne gratuite de Canal + peut aussi perturber l'équilibre du paysage audiovisuel français. D'autant qu'il est dévoilé alors que Bruxelles a lancé une procédure contre l'attribution des canaux compensatoires. Le premier ministre vient de confier à Michel Boyon, président du CSA, une mission de réflexion et de consultation sur l'évolution de la télévision numérique terrestre. Il s'agit en particulier d'évaluer l'opportunité et les conditions de lancement de nouveaux services gratuits et payants par voie hertzienne terrestre en mode numérique. L'objectif n'est évidemment pas de se positionner pour ou contre un projet de chaîne en particulier - et d'ailleurs je rappelle que j'ai fortement défendu la spécificité de Canal + dans le débat sur le taux de TVA réduit qui lui est appliqué - mais de réfléchir globalement à l'avenir du paysage audiovisuel et à une nouvelle étape de la TNT. Cette mission sera courte et rendra ses conclusions le 31 juillet prochain.
Par Marie-Catherine BeuthJournaliste, Le Figaro Par Enguérand Renault http://www.lefigaro.fr/medias/2011/05/20/04002-20110520AR...