Fondant Au Chocolat : La Réussite Dans L'Echec.

Publié le 12 février 2008 par Mélina Loupia
Ce qui m'a toujours fascinée dans la pâtisserie, c'est la surprise. Quand parfois, la chimie des ingrédients donne naissance à des nouveautés originales et supérieurement meilleures à la recette d'origine. Ce pouvoir que l'on peut exercer sur les composants selon les ustensiles, la qualité des denrées ou le tour de main. Se dire que tiens, selon le temps ou la lourdeur du coude, telle ou telle recette peut livrer des secrets. C'est ainsi que je vois le fondant au chocolat. De base, sa recette et sa réalisation sont aisées. Peu de préparation pour autant de cuisson et le tour est joué. Des ingrédients simples, faciles à trouver, d'autant plus qu'on les a en principe toujours dans ses placards. Le dessert qui sied à tout le monde et peut être fait à la dernière minute, quand les copains et leurs meilleurs amis débarquent juste pour l'apéro dont on sait qu'il va se prolonger à table. C'est ce dont je me rappelle qu'il s'est passé l'an passé, pour l'anniversaire d'Arnaud qui peut avaler un fondant au chocolat tout entier avant même que j'ai eu le temps d'aller chercher la pelle à tarte. Nicolas, bien que fou de chocolat, n'en demeure pas autant plus tempéré, préférant y revenir à plusieurs fois, Jérémy et Copilote préférant jouer la carte du boycott de la consommation de sucre dans la mesure où il n'est pas incorporé dans une pâte à tartiner dont quarante-deux  ans d'expérience feront toujours la différence. Quant à moi, je me contente de le travailler, les cordonniers étant toujours les plus mal chaussés. Ce soir-là donc, aux alentours de l'approche imminente du repas, je décide, après inspection des placards et présence de tous les ingrédients nécessaires, de confectionner un fondant au chocolat noir pour l'anniversaire d'Arnaud qui sentait le vent tourner. "Tu as du chocolat noir maman? -Oui, tu sais que j'en achète toujours, on sait jamais, des anniversaires à fêter, tout ça. -Tu en as combien? -Une tablette mon chéri. -Tu as 3 œufs maman? -Et même 27 de plus mon chéri. -Tu as 80 grammes de farine? -J'ai toujours de la farine pour faire le pain, alors 80 grammes, raison de plus. -Et 125 grammes de beurre, tu les as? -Et comment je mettrais du beurre dans vos nouilles si j'en avais pas toujours une tablette en permanence dans le frigo? -Et 100 grammes de sucre fin? -Si je n'avais pas de sucre, cette maison ne tournerait pas rond mon chéri. -Alors je me disais qu'on pourrait faire un fondant au chocolat pour ce soir et inviter Caroline et son fiancé, il aime bien tes gâteaux maman. -Je le sais. Allez, vas me chercher le téléphone, je les invite à ton anniversaire. -Tu es la meilleure des mamans. -Je suis surtout la seule." Sous mes yeux, à présent que j'avais disposé le bataillon destiné à s'amalgamer, il ne manque plus que les ustensiles.  "Il n'y a pas de mauvais pâtissiers, il n'y a que de mauvais outils ma fille" M'avait souvent dit ma grand-mère. " La meilleure cuillère, c'est celle-là". Ajoutait-elle aussi, désignant du sien l'index de la main. Mais pour l'heure, en plus de mon index boudiné, je suis armée par précaution d'un moule de 24cm de diamètre chemisé, entendons généreusement beurré de toutes parts et saupoudré de sucre pour donner un bel aspect croustillant et légèrement caramélisé au tour du gâteau. Le four montait en température jusqu'à 180°, comme je le lui avais demandé d'un coup de molette. Sur le feu doux, soit le plus petit brûleur dont j'avais toujours douté de l'utilité, une petite casserole à fond antiadhésif et non pas antidérapant comme je l'avais toujours pensé et trouvé saugrenu, le beurre en pommade et la tablette de chocolat noir découpée grossièrement entamaient une parade nuptiale. Lorsque j'ai estimé que la fusion des atomes avait eu lieu, je leur ai amenés des copains, soit les œufs et le sucre déjà réunis à part dans un autre lit et enfin, la farine est venue délicatement sceller ces couples illégitimes. Plus un instant à perdre, toute la bande va s'étaler comme un claquos bien fait dans le moule avant de se faire dorer la pilule dans la chaleur tournante du four. Et c'est là que réside un des plus grands paradoxes de la pâtisserie. Il existe une loi intransgressible  selon laquelle un gâteau n'est cuit que lorsque transpercé en son centre par une lame, celle-ci reste sèche. La preuve irréfutable, comme un vampire mort définitivement grâce au supplice de l'empalement au moyen du pieu en plein cœur. Nul besoin pour autant de calculer le milieu au compas, ni d'aiguiser un pieu de buis, un couteau d'office en inox approximativement enfoncé dans le gâteau suffit. Cette règle comporte toute fois une exception, celle du fondant au chocolat. Qui dit fondant dit pas cuit. Et qui dit pas cuit dit lame pas sèche. Voilà pourquoi le fondant au chocolat n'est réussi qu'en étant parfaitement raté puisqu'arrêté dans sa cuisson avant terme, soit après une toute petite vingtaine de minutes, après avoir constaté le craquellement de la surface. Une sorte de gâteau prématuré. Un genre de coït interrompu. Un fondant au chocolat réussi en conclusion. "Mais maman, pourquoi la lame elle est ressortie sèche? -Tais-toi et vas chercher la tronçonneuse chez le voisin. -On pourra enfoncer mes bougies? -Pense aussi à lui demander sa barramine." Lorsque les voisins sont arrivés, j’avais déjà préparé et répété mon discours à la perfection, visant à leur faire avaler un gâteau au chocolat plutôt que le fondant que je leur avais vendu plus tôt. « Où t’as les assiettes et les petites cuillères ? -Pas besoin, il se mange à la main. -Ah bon ? -Oui, pour les petits, j’ai trouvé plus sympa, ils en foutront moins partout qu’avec un fondant. -Maman, on peut aller le manger dans les chambres alors, dur comme il est, on en renversera pas. -Tu les autorises à bouffer dans les chambres maintenant ? -Disons que c’est l’anniversaire du petit, on peut faire une exception, c’est la fête quoi. -Chérie, où tu l’as mis, le couteau électrique ? Non, parce que là, j’arrive même pas à planter la lame du couteau dedans. -Pas besoin, j’ai déjà testé, il est bien cuit. -C’est le moins qu’on puisse dire, bien bien cuit. -Pour une fois que je réussis un gâteau, il est foiré et en plus, j’en prends plein la gueule. -C’est clair qu’on pourra même pas en prendre plein les dents. -Le couteau électrique est dans le cellier, mais prends la lame pour les produits congelés. » Dès à présent et à partir de désormais, je sais que pour réussir un fondant au chocolat, il faut que je le foire.