Ça avait pourtant bien commencé, mercredi. Ambiance de fête dans la journée, maquillage verts et bleus, déguisements variés... Ça sentait la coupe, ça sentait la célébration, c'était joyeux. Vancouver comme on l'aime, des sourires sur les visages, tout le monde décontracté, et en plus le soleil nous faisait l'honneur d'être présent.
J'ai eu un petit choc en sortant du bureau, qui donne directement sur un des lieux de rassemblement, il y avait un monde incroyable... L'heure du match approchait, les gens devenaient de plus en plus fébriles, mais on était là pour regarder du hockey, encourager l'équipe (des Canucks bien évidemment), en espérant finir la soirée en célébrations après avoir gagné la coupe Stanley. Bref, "y'avait qu'à".
Mais voilà, Boston a vraiment bien joué, de toute évidence les Bruins méritaient la coupe Stanley, ils ne l'ont pas volée. Le gardien de but Tim Thomas était incroyable, pas moyen de passer son barrage, la défense était à la hauteur aussi, et les Canucks semblaient de plus en plus fatigués. La soirée n'a pas pris la tournure espérée... Score final 4-0, dont un dernier but qui rentre dans un filet déserté par son gardien 3 minutes avant la fin. Le rêve était fini...
Dès que j'ai compris qu'on allait perdre, j'ai décidé de rentrer au bureau -juste à côté des écrans géants- pour attendre un peu que les gens partent, sans imaginer que quelques minutes après les émeutes commenceraient et que j'allais rester coincée en ville pour un bon moment. Je suis allée retrouver mes collègues à l'étage près de la baie vitrée, et on a vite senti que le vent tournait. En quelques minutes, des casseurs ont mis le feu à une voiture -on se demande ce qu'elle faisait sur Georgia et Hamilton, lieu où s'étaient rassemblées plus de 100 000 personnes pour voir le match- et tous ceux qui avaient commencé à quitter les lieux ont fait demi-tour pour revenir, probablement alertés par les innombrables textos qui ont dû être envoyés à ce moment-là. Ils voulaient tous être là, regarder et bien évidemment filmer la scène. Awesome, man! Ben oui...
En plus d'avoir été témoin de ce qui s'est passé le soir même, j'ai passé une bonne partie de ma journée hier et encore aujourd'hui à voir les images des émeutes que nos cameramans ont filmées, et ça me dégoûte profondément. Les casseurs? C'est une nuisance inévitable malheureusement, il y a toujours une catégorie de gens profondément stupides, haineux et opportunistes qui viendront faire du grabuge dans ce genre de situation. Ne soyons pas naïfs, on ne s'en débarrassera jamais complètement.
Mais ce qui m'a encore plus énervée, ce sont tous les abrutis de première qui sont venus regarder ça, filmer et se faire prendre en photo devant les voitures en feu, tout contents et fiers d'eux. Je n'en reviens toujours pas du nombre de gens qui semblaient prendre un plaisir immense à être là et regarder une voiture brûler, sourires béats sur leurs visages, affichant l'arrogance de ceux qui ont basculé dans un monde où on peut tout se permettre en toute impunité. On se fait des sensations comme on peut, faut croire. On déchire sa chemise, on saute sur une voiture en feu en levant les bras, on devient un héros aux yeux du troupeau, et on se prend pour un vrai rebelle. J'ai vu une fille toute émoustillée d'être allée donner un coup de pied à une voiture renversée... Bravo.
Tous ces douchebags avec le bras en l'air tenant leur iPhone pour immortaliser les événements et pouvoir dire "j'étais là" ont non seulement rendu la tâche de la police plus difficile puisque la foule était énorme et difficile à disperser, et qu'elle obstruait le passage, mais en plus, leur présence n'a fait qu'encourager les casseurs à en faire plus. Sans spectateurs pour regarder et crier, c'est moins intéressant de foutre la merde, non?
Même si une bonne partie des gens présents ne faisait "rien de mal" en apparence, le simple fait d'être là, de rire de ce qui se passait, fait de toute cette foule des complices. Je vois ces photos, ces vidéos, et je pense "bande de nazes"...
Les pompiers sont venus éteindre la première voiture, mais quelques minutes après leur départ -ils se faisaient lancer des projectiles dessus- une deuxième voiture a été mise en feu. L'escouade anti-émeute est arrivée, les policiers à cheval, les autres à pied avec leur gaz lacrymogène, et petit à petit il ont refoulé les gens vers Cambie. Les casseurs s'en sont alors pris à deux voitures de police stationnées sur le parking de Cambie et Georgia. Et c'est reparti pour un feu de joie...
Il y a eu bien de la casse ailleurs en ville, sur Granville, plus loin sur Georgia. 15 voitures brûlées en tout, des dizaines de commerçants vandalisés. Certains qui ont connu des émeutes ailleurs, en France par exemple, diront que ce n'est rien, mais dans une ville comme Vancouver, c'est beaucoup.
Depuis, énormément de gens expriment leur colère envers les casseurs, les commentaires fusent partout pour condamner ces actes. Mais surtout, et c'est probablement quelque chose qu'on ne verrait pas ailleurs, un groupe Facebook a aussitôt été créé, où des milliers de personnes se sont engagées dès le soir-même à venir le lendemain tôt pour aider à nettoyer la ville. Et ils étaient là. On en a croisé plein hier avec leur grand sac poubelle, leur balai et leurs gants, rendre les rues du centre-ville plus propres que jamais, avec un sourire en plus. Quelqu'un en a photographié plusieurs et a posté le tout sur Facebook, sur la page "Special: The real face of Vancouver". Touchant.
Déjà, la veille, pendant que les voitures brûlaient et que des idiots déracinaient les arbustes le long de la clôture du Queen Elizabeth Theatre pour les lancer sur la police, j'ai vu deux types commencer à ramasser ces plantes pour les mettre le long du trottoir. Même les policiers n'ont pas compris sur le coup ce qu'ils faisaient!
La plupart des vitrines du magasin The Bay ont été fracassées. Elles étaient dès hier matin recouvertes de contre-plaqué, sur lequel plein de gens sont spontanément venus inscrire des mots d'amour à leur ville, aux Canucks, des messages de toutes sortes y compris d'excuses.
Juste à côté ce matin une voiture de police stationnée était recouverte de post-it avec des notes de remerciements pour la police. "Only in Vancouver" comme on dit toujours (mais d'habitude c'est pour se moquer un peu), ça c'est clair, et ça me rend fière de vivre ici.
Les cyniques peuvent bien dire que c'est digne du pays des bisounours, moi je trouve ça beau.