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L'apnéiste, le grillon et le philosophe.

Publié le 19 juin 2011 par Sebastienjunca

C’est toujours avec une certaine impatience (toutes proportions gardées) que j’attends la publication de la chronique mensuelle de Michel Onfray sur son site officiel. La dernière en date, intitulée Jour de fête, n’a fait que me titiller davantage pour ce qui est des revendications athées du philosophe. Parmi ses affirmations toujours catégoriques, l’hédoniste d’Argentan nous dit le ridicule qu’il trouve dans la croyance aux signes venus d’un défunt. Je corrige ; non pas dans la croyance en de tels signes, mais dans l’hypothétique manifestation de tels signes. La phrase exacte étant : « Je ne crois pas aux signes venus d’un défunt, ce qui serait ridicule ». À la lecture de cette phrase, on se rend tout de suite compte de la triple interprétation qui peut en être donnée. – « Ridicule » la croyance en ces signes ? - « Ridicule », la manifestation de tels signes de la part de défunts ? Or, chacun sait que le ridicule ne tue pas... aussi, le fait que des défunts se ridiculisent de la sorte est pour le coup d’autant plus ridicule en plus d’être un parfait oxymore (si j’ose dire) ; ou enfin - « ridicule » le fait qu’un philosophe se déclarant athée, puisse être amené à croire en de telles calembredaines ? Une simple phrase comme celle-ci prête déjà à de multiples interprétations. Or, et un peu plus sérieusement, chacun sait que la vie elle-même, dans ses différentes formes, n’est pas moins sujette à différentes interprétations et visions des choses.

Pour Michel Onfray, et comme chacun sait, « La mort emporte tout, tue tout, et rien ne subsiste de l’être qu’on a aimé [...] ». Quiconque ne se serait pas penché un peu sérieusement sur les écrits du philosophe serait tenté de conclure à sa « simplification métaphysique de l’existence ». Sans aucun doute, et comme le dit aussi l’intéressé, ne subsistent de l’être aimé que son image, ses simulacres et tous les souvenirs de nos existences mêlées que nous avons pu engranger. Mais la question se pose néanmoins. Toute vie n’est-elle réductible qu’à ces seuls simulacres ; aux seules apparences que nos existences déploient à travers l’espace, le temps et la matière, l’intervalle de quelques battements de cœur ? De telles affirmations pourraient trahir une conception simplificatrice pour ne pas dire simpliste des multiples possibilités de la matière. Or, Michel Onfray, ailleurs dans son œuvre, nous dit tout ce qu’il pense de cette matière ; tout ce qu’elle peut au-delà des seules apparences qui ne sont que les limites de notre propre perception. Dans La Puissance d’exister, il suggère les infinies possibilités d’un corps et d’une chair qui ont encore tant à exprimer, à révéler et à faire vivre au travers d’ « [...] une chair vivante, fabuleuse, considérable, riche en potentialités, traversée par des forces encore inconnues, travaillées par des puissances encore inexploitées[1] ». Et de poursuivre en parlant du corps : « Celui dont Spinoza écrit qu’on ne l’a pas encore assez sollicité, au point qu’on ignore encore ce qu’il peut, celui que Nietzsche nomme la grande raison, [...][2] ».

Un Nietzsche peut en cacher un autre. Pour seul exemple, il n’est qu’à considérer le dernier exploit d’Herbert Nitsch, Autrichien, plongeur en apnée et détenteur (sans détendeur) du record du monde en « no limit », avec une plongée à – 214 mètres de profondeur durant une apnée supérieure à quatre minutes. L’homme nous fait la démonstration de ce que peut le corps (ici nitschéen) ; de ce qu’il « sait » de manière intuitive, instinctive et naturelle. L’homme-poisson se rie des scientifiques, médecins et autres intégristes du rationalisme et du positivisme les plus rigides. Ceux qui, depuis toujours, pensaient la performance impossible, ridicule voire suicidaire. Or, la matière, le corps, la chair sont moins rationalistes et cartésiens que les « prêtres » qui s’en réclament.

Quel est le message ? Que faut-il comprendre, apprendre et surtout retenir de tels exploits ? Car le cas de Nitsch n’est pas isolé et nombreux sont les vrais explorateurs du corps et de l’esprit, de leurs mutuelles interactions et de leur lointaine et non moins semblable origine, si ce mot a encore un sens aujourd’hui. Que faut-il retenir de telles performances ? sinon l’humilité et la révérence face à un monde qui peut tout ; bien plus que n’importe quel dieu dont il est le pourvoyeur.

Dans un genre différent, les sciences et les nouvelles technologies qui en sont les infinies ramifications n’en sont, elles aussi, qu’au début de ce fantastique inventaire qui chaque jour nous dévoile un monde, une existence aux possibilités insoupçonnées car illimitées. Il nous faut sans cesse garder à l’esprit que tout est possible parce que dès lors que le monde et la vie ont commencé d’exister, tout est devenu concevable à plus ou moins longue échéance. Quel que soit le degré de réalité que nous concédions au monde ; qu’il soit du domaine de l’illusion, du rêve, de la représentation... qu’importe ! Le phénomène a bien lieu et la conscience de celui-ci en est une preuve suffisante. Contrairement à ce que dit Michel Onfray, ce n’est pas la mort qui emporte tout. C’est la vie qui, depuis les plus lointaines étoiles déjà consumées dans l’espace et le temps et jusqu’à nos existences individuelles, charrie, dépose, reprend, fait se rencontrer, s’entrechoquer, puis redépose à nouveau sur la plage les coquilles vides que nous sommes les uns les autres ; les uns pour les autres. Ces milliards de petites coquilles vides à moitié brisées sur la plage. Ces nuages de petits cadavres de calcaire blancs qui s’entrechoquent et qui crépitent les uns contre les autres. Tous ces petits « simulacres de nacre » en définitive animés par une seule force, une seule âme : la vie ! Cette volonté de puissance, pour le coup, nietzschéenne, partout présente et à laquelle rien ne peut échapper parce qu’elle est tout et qu’on ne peut échapper à soi-même. Pas plus dans la mort, qui n’en est qu’un rouage, que dans quelque forme de néant : Simulacre des simulacres.

Une fois mis de côté l’aspect religieux, la grossière dévotion servile et primitive inhérente à tous les monothéismes du monde et de l’histoire, pourquoi ne serions-nous pas à même de conserver l’aspect miraculeux de la matière ? Pourquoi devrions-nous, en renonçant à l’un, nécessairement renoncer à l’autre, quand le premier n’était seulement qu’une erreur d’interprétation, de perspective, d’accommodation de la vision ? Dans l’expression « phénomène surnaturel », pourquoi devrions-nous renoncer au phénomène en renonçant au surnaturel ? L’absence de Dieu ne nous interdit pas pour autant d’en conserver les « miracles ». Miracles ou mystères d’un monde et d’une matière dont nous avons pendant longtemps attribué l’origine à quelque divinité, lors qu’ils se suffisaient amplement à eux-mêmes. Congédier Dieu ne nous oblige pas pour autant à renier le « divin ». Nul besoin de Dieu pour continuer d’entretenir le merveilleux. Nul besoin de l’entretenir d’ailleurs. La nature y pourvoie depuis toujours sans l’aide de notre bien chétive imagination. Car la vie, le corps, la chair, la pensée, l’inconscient, l’imagination... tout organiques ou matériels qu’ils puissent être dans leurs fondements, se suffisent à eux-mêmes et n’ont besoin d’aucun autre expédient pour continuer à nous prodiguer leurs « miracles ».

Pour en revenir aux signes venus d’un défunt ; ce que Michel Onfray considère comme ridicule ; pourquoi ne pas envisager, après ce qui vient d’être dit, un corps apte à synthétiser à un degré supérieur, un potentiel à la fois énergétique et donc mnésique à même de transcender la mort apparente de l’organisme qui l’aura durant toute une vie patiemment conçu ? Le cerveau, la mémoire, la conscience sont des illustrations de ce que peuvent le corps, la chair, la matière. Est-il si difficile, a fortiori pour un philosophe, d’imaginer une suite purement évolutive et dans l’esprit darwinien cette fois, à cette progression vers la complexité, l’échange, la communication, la découverte, la connaissance en somme ? Ce que Herbert Nitsch nous dit, c’est que le corps peut, dans une certaine mesure et au même titre que l’esprit, transcender un état présent jugé comme définitif, figé et irrévocable. Or, l’apprentissage, l’accoutumance, la mithridatisation, la discipline, la concentration, l’ascèse, la réminiscence (socratique) ou la remémoration, sont autant d’aides à la métamorphose du corps, et par extension, à la métamorphose du monde.

Enfin, si le corps, les corps, sont dans une certaine mesure limités dans leur capacité à inaugurer de nouvelles fonctionnalités, de nouvelles dimensions de l’être ; limites inhérentes à leur durée de vie individuelle et à l’inertie même de leurs constituants – la mémoire et la génétique alliées au phénomène de l’évolution biologique disent et ont déjà largement prouvé ce que peuvent la matière et la vie à travers leur plasticité. Ce que le corps ne peut pas encore aujourd’hui, faute de temps, de malléabilité, il le pourra sans conteste demain. Il suffit juste de le vouloir, de le rêver pour que toute chose soit possible et tôt ou tard validée par l’expérience.

Les multiples particules subatomiques déjà inventoriées mais dont nous ne connaissons que la partie qui nous est perceptible ; alliées à toutes celles encore à découvrir, autorisent toutes les audaces et tous les rêves en matière de suite à donner à la progression toute darwinienne du corps, du cerveau, de la mémoire et de la conscience. Bergson, il y a plus d’un siècle déjà, ne s’interdisait pas de le penser. Ô combien serait-il d’autant plus enclin à l’imaginer aujourd’hui, à la lumière des plus récentes découvertes dans les différents domaines des sciences de la vie, des nanotechnologies ou de la cosmologie ! De la même manière que le plus naturellement du monde, n’importe quelle plante ou fleur est à même de synthétiser à un degré supérieur un parfum des plus subtils ; pourquoi le corps ne serait-il pas apte à élaborer et à « sécréter » une « fragrance » à même d’inaugurer de nouvelles dimensions matérielles ?

Il me plait de croire qu’à l’instar de la chrysalide et du papillon, le corps puisse de manière fort semblable accéder à sa propre métamorphose sans jamais faire appel à ce qu’improprement nous appelons le « surnaturel ».

Le Premier Mai de chaque année, Michel Onfray avait l’habitude de réunir autour de son père, les êtres qui lui étaient chers. À la fin de sa chronique il nous dit que, regrettant de n’avoir pas de grillon dans son jardin d’Argentan, son père lui en avait apporté un dans une boîte. L’orthoptère une fois relâché dans le jardin du philosophe épicurien n’avait plus donné signe de vie. Le Premier Mai 2011, après que le père de Michel Onfray ai disparu quelques mois plus tôt, un grillon a chanté à tue-tête. Coïncidence ou signe ? Je ne peux cependant m’empêcher de penser que Michel Onfray rapportant l’anecdote ne le fait pas par seul souci entomologique.

Je terminerais enfin sur ces mots de jean Guitton, philosophe chrétien (bizarrerie de l’Évolution ?) ; et qui me semblent tout indiqués pour achever cet article : « Ainsi nous sommes semblables à des embryons prisonniers de la vie utérine, qui se demanderaient pourquoi ils ont ces pieds qui n’ont pas marché, ces mains qui n’ont rien à toucher ; pourquoi ils ont des organes de la respiration alors qu’ils n’ont pas d’air à respirer et qu’ils se nourrissent du sang maternel. Nondum apparuit quid erimus. “Ce que nous serons n’a pas encore paru.” Nous ne sommes pas encore nés, du moins nous ne sommes pas encore pleinement développés. Et s’il est vrai que nous ne sommes pas arrivés au terme, c’est sans doute que nous avons à passer une dernière mutation[3] ».

Sébastien Junca.



[1]    Michel Onfray, La Puissance d’exister, Éditions Grasset & Fasquelle, 2006, Le livre de Poche, p. 210.

[2]    Ibid.

[3]    Jean Guitton, L’impur, Desclée de Brouwer, 1991, p. 49.


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