Magazine Journal intime

Roman épistolaire – 5e échange

Publié le 21 juin 2011 par Gintonhic @GinTonHic

Quand je suis emménagé ici, j’ai placé mon ordi et tout ce qui traîne normalement autour d’un appareil comme ça, près de la fenêtre qui donne sur la rue.  Pour être sûr de rien manquer?  Je sais pas.  Pour pas oublier que, même dans mon appartement, même si je vis seul dans un petit appartement, je suis pas si seul que ça.  Y a du monde autour de moi, pas beaucoup de monde que je connais par leur nom, c’est vrai, mais c’est du monde pareil, des gens qui ont un cœur et un coco.  J’ignore bien des choses, mais il y a quelque chose que je sais, j’en mettrais ma main au feu, c’est que tous ces hommes et toutes ces femmes, tous ces enfants aussi qui passent sur le trottoir marchent vers quelque chose, qu’ils sont poussés malgré eux, on pourrait même aller jusqu’à dire ça, ils sont poussés malgré eux dans un sens et pas dans un autre.  Y a une énergie au fond de nous qui nous force à nous lever le matin.  Je dis « nous force », mais je pourrais dire aussi nous donne le goût.  Ça sonnerait dans du plus positif.  Ça fait pas de tort, ça, un peu de positif de temps en temps.  Laisser l’orgueil de côté, la fausse fierté de penser tout savoir des choses de la vie.  Descendre une couple de marches de l’échelle où on a grimpé pour se mettre au-dessus des autres.  Je sais, c’est peut-être seulement pour se sortir la tête de l’eau sale et respirer un bon coup.  Oua.  C’est pas faux des fois, mais c’est pas vrai tout le temps. 

Quand je lis ton dernier courriel, j’ai donc face à moi tes mots à l’écran et, en arrière-plan, le va-et-vient des gens et des autos.  Faut dire aussi que je te lis toujours le jour.  Heureusement.  J’ai plus d’énergie quand y a de la lumière naturelle dans le paysage, je peux mieux reprendre mon souffle quand on me l’a coupé.  Tu y vas pas avec le dos de la cuiller!  Je sais qu’on s’est déjà parlé fort et sans nous ménager, mais de là à dire que je te prenais sérieusement pour une « tarée », une « chose », un « bibelot » ou une « patente »!  Je trouve que t’en beurres épais sur la tranche de pain quotidien!  Au fond de tout ce qu’on se disait, au fond du fond, y avait des choses qui voulaient se dire, se crier, se griffer dans l’air et sur les murs et le plafond, oui, par moments les voisins ont dû en entendre des belles et des pas belles, des vertes et des pas pures, mais…  On est arrivés au monde dans des milieux pas trop ragoûtants.  Apprendre à aimer dans des familles comme les nôtres, ça tient du miracle, et des miracles, jusqu’à preuve du contraire, ça existe pas ailleurs que dans l’imagination humaine.  Ça fait que, oui, je t’ai pas aimée comme tu l’aurais voulu, pour la bonne et simple raison que je savais pas comment.  Même chose pour toi.  Au début, c’est pas faux, ce que je voulais, c’était surtout la baise, et la baise, et encore la baise.  On entre comme on peut dans la vie d’une autre personne, on prend la porte qui s’ouvre en premier et on passe le seuil.  Mais je peux te dire que, oui, si j’étais content et contenté qu’on baise comme des fous sortis tout droit de l’asile, c’est aussi vrai que ça me brassait à l’intérieur et que tu me manquais quand t’étais pas là dans mes bras.  C’est pas juste ce que t’as entre les cuisses qui me manquait, c’est toi, en entier.  Je suis peut-être entré dans ta vie par la porte de la baise, mais j’ai aimé le reste aussi.  Plus être seul.  Je pensais souvent à toi, à toi au complet, pas juste tes seins, tes fesses et ton minou.  Mais comment dire ça, sur le coup, comment trouver des mots qui disent vrai quand t’as pas eu de modèle pour te montrer quoi dire, quoi faire, quoi taire, au besoin? 

Des mots doux, j’aurais pris ça où?  J’ai vu mes vieux s’embrasser, la première fois, à leur 60e anniversaire de mariage, attablés à la table d’honneur, une centaine de personnes devant eux!  Pour te dire, j’ai eu le réflexe de baisser la tête vers mon assiette de poulet refroidi.  Puis, bon, non, je me suis dit qu’ils avaient dû faire ça quand ils se sont connus, ça : la baise, les caresses, les baisers et tout le kit qui vient avec, puis quand ils étaient au lit,la porte de la chambre fermée.  Je sais pas.  C’est pour te dire, je sais pas s’ils baisaient.  J’ai jamais rien entendu, enfant.  Peut-être que le père mettait sa main sur la bouche de la mère.  Va savoir.  Ou qu’elle se mettait un bandeau sur la bouche?  Ils se donnaient pas de gifles ni de coups de poing ni se criaient fort par la tête très souvent.  Non.  Mais ils parlaient pas avec des mots d’amoureux non plus.  À moins, comme pour la baise, que ça se faisait sur l’oreiller, à l’abri des regards et des grandes oreilles curieuses? 

Quand j’ai tenu dans mes bras ma première vraie blonde, à quinze ans, je savais pas trop quoi lui dire ni quoi faire.  Je suis sorti avec elle toute une année, mais jamais que je lui ai dit que je l’aimais.  Les mots me sont pas venus à la bouche.  Rien qui montait de la gorge ni du cœur, pourtant ça me travaillait fort.  Je savais pas comment ça se prononçait « je t’aime ».  J’avais vu des choses qui touchaient à ça au cinéma, mais, bon, c’est tout un autre monde.  Y avait aussi dans des chansons, mais, bon, encore là, c’est la même chose, c’était pas tout à fait moi, c’était des personnages ou des étrangers.  Je veux pas rien qu’accuser mes vieux.  Eux-autres aussi sont nés dans des familles où les choses douces se disaient sur l’oreiller, où les choses du sexe se faisaient en dessous des draps, la porte de la chambre fermée, à des heures où les enfants dorment et, de toute façon, sans trop faire de bruit.  C’était peut-être excitant, faire l’amour en silence, qui sait?  Eux le savent, mais j’oserais jamais le leur demander.  Je leur ai dit, l’an passé, j’étais seul avec eux dans leur salon, que je les avais trouvés pas trop mauvais parents, malgré tout, qu’ils avaient pas été parfaits, mais que je les avais aimés quand même.  Mon père s’est arrêté de se bercer dans son lazyboy, ma mère m’a regardé avec des yeux grands de même…  Puis mon père a monté le son de la télé et ma mère est partie me chercher une bière dans le frigo.  Mon père s’est mis à parler de la saison de la pêche qui allait ouvrir dans pas grand temps.  Ma mère a dit que mon frère s’était acheté une chaloupe neuve.  Va s’en prendre du gros, poisson, quand les glaces vont être fondues sur les lacs et les rivières!

Ça sonne vrai?  Ça sonne vrai, ce que je viens de dire?  Ce que j’aurais déclaré à mes vieux?  Bien, ça l’est pas.  J’ai rien dit de tout ça.  Mais tu y as cru.  Tu vois?  Même le presque pas possible, on y croit parfois, et me demande pas pourquoi, au juste.  Je le sais pas.  Y quelque chose en nous qui veut y croire, par moments, dans la vie.  T’as beau parler de « planète maudite » en parlant du seul lieu dans l’univers où la race humaine peut respirer à l’aise et boire et manger et se reproduire, mais, comme tu le dis aussi, y a au moins un petit espoir au fond de nous qui vivote, qui lâche pas, sinon, oui, t’as raison, faudrait se promener sur la Saint-Laurent à minuit et s’acheter un plein pot de petites pilules, les avaler toutes, l’une après l’autre, puis… bebye la visite!   Le petit espoir que je sens dans ces gens qui passent dans ma rue, peu importe l’âge, qui marchent vers quelque part, vers quelqu’un, peut-être?

Écrit par : Martin Thibault Écrivain    
Filed under: Non classé, Parlons-en, Québec, Roman épistolaire Tagged: épistolaire, roman

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