Depuis qu’ils s’étaient mis tous deux au régime, F et J ne faisaient plus l’amour. L’envie d’amaigrissement avait supplanté celle d’accouplement. Si les plaisirs n’étaient plus les mêmes, ils étaient tout autant partagés. La frustration et le manque finissent par vous enivrer. Il y a une volupté à dominer la bête en soi.
Chaque week-end, F planifiait le régime de la semaine à venir : petit-déjeuner, déjeuner et dîner tout inclus. J avait trouvé un logiciel formidable sur Internet prenant en compte leur morphologie respective. Ainsi, savaient-ils le nombre exact de calories à ingurgiter au quotidien. Ils pouvaient aussi veiller à un parfait équilibre alimentaire. Attention, on parlait de régime, pas de malnutrition.
Ce qui était chic, c’est que le programme alternait les méthodes d’un jour à l’autre. Par exemple, lundi matin : deux tranches de pain complet, un thé et du fromage blanc, le midi 200 grammes de poisson blanc et 150 grammes de légumes vapeurs, pour le goûter exceptionnellement une orange accordée et le soir bouillon à volonté (houra !). Le lendemain, bis repetita. Le mercredi, ils pouvaient manger ce qu’ils voulaient. A une seule condition : vérifier que le PH de chaque aliment soit neutre. Ensuite, le credo était celui des couleurs : chaque journée devait être monochrome, ils ne pouvaient manger que du blanc le jeudi, du rouge le vendredi et du vert le samedi. Quant au dimanche, régénération et diète complète! Et puis, F se rebranchait sur l’ordi et c’était reparti pour un tour.
C’’était une activité de couple comme une autre. Bien obligés de se séparer pendant la journée, J et F devaient dominer les affres du doute et de la jalousie. Et si l’autre n’en profitait pas pour se goinfrer de chocolat ? Etait-il vraiment fidèle à leur régime, était-elle vraiment fidèle à leur couple ? Pourquoi ne maigrissait-il donc pas après trois mois d’ascèse gastronomique ? Et si jamais elle allait manger ailleurs ?