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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (22)

Publié le 21 juin 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (22).- Ses aveux ne leur suffisent pas !

Elle ne resta pas seule sous l’escalier de l’Annonciade. Elle y fut rejointe par un des fantômes aperçus dans la maison Bancal qui lui dit :

   - Vous ne me connaissez vraiment pas ?

   - Non.

   - Moi, je vous connais.

   - C’est possible.

   - Nous l’avons échappé belle. J’étais  entré dans cette maison pour voir une fille mais je ne suis pas un assassin. C’est moi qui vous ai sauvée, jurez que vous ne parlerez jamais de moi.

   - Je le jure.

   - Ici, il fait noir, vous ne pouvez me reconnaitre, mais me reconnaitriez-vous de jour ?

   - Non.

Bref ! si Clarisse confessait sa présence sur les lieux du crime, elle ignorait tout des circonstances qui l’y avaient précipitée, et surtout, elle n’avait rien vu, rien entendu. C’était un conte à dormir debout, mais le préfet exultait. Ne lui suffisait-il pas que la fille d’un haut magistrat donnât caution l’avalanche de fables colportées par la populace.

Je n’ai pas pu assister à la confrontation entre Madame Manzon et son ancien amant. C’est Clarisse elle-même qui me l’a rapportée. Elle s’est sentie foudroyer à la vue de l’homme qui l’avait fourrée dans pareil guêpier. Situation étrange, Clarisse ignora son persécuteur et ne dit mot.

Sur ces entrefaites, le président Enjelran s’était présenté à la préfecture où le comte d’Estourmel l’avait informé de la bonne nouvelle : sa fille convenait qu’elle s’était trouvée dans le bordel de la Bancal. J’assistais à ce que je considère comme une des scènes familiales les plus infâmes à laquelle il m’ait été donné d’assister. Voir ainsi le prévôt se réjouir ainsi que sa fille fréquentât ce qui était, aux yeux de tous, le lieu le plus sordide de Rodez me rendit presque malade. Je me mis à éprouver un profond mépris envers cet homme qui préférait voir sa fille s’avouer catin que de risquer sa position. Jamais, je n’ai avais rencontré pareille lâcheté. La joie du prévôt laissa Clarisse de marbre. La vue de son ancien amant avait agi comme un scalpel sur son amour-propre. Elle ne pouvait, sans doute, pas abdiquer sous les yeux de son ennemi victorieux, les miens, ceux du préfet et de son père. D’une voix ferme et sèche, elle déclara.

   - Oui, j’ai convenu de ce que j’avais dit à Monsieur Clémendot, mais je n’ai jamais reconnu avoir été dans la maison Bancal et je ne signerai jamais une déposition disant le contraire.

Rouge de colère, Monsieur Enjelran se mit à rugir.

   - Qui voulez-vous persuader que vous avez fait un badinage de ce genre ? Je vous préviens, si vous persistez, j’irai me jeter aux pieds du roi et j’en obtiendrai un ordre pour vous enfermer pour toute votre vie. Alors, vous pourrez dire un adieu éternel à votre patrie et à votre fils. Encore serez-vous assez heureuse si vous échappez à l’échafaud !

Eclatant soudain en sanglot, il poursuivit d’une voix lasse.

« Malheureuse fille ! Et ta famille, pour qui la comptes-tu ? Un père qui ne s’écarta jamais de l’honneur qui t’en montra la route, tu le réduis à vivre dans l’opprobre, et tu empoisonnes ses derniers jours. Tu poignardes ta mère infortunée, elle est sur son lit de douleur ; il lui reste à peine un souffle de vie. Tes frères sont livrés au plus affreux désespoir et ton fils, ton fils, quel héritage tu lui laisses ! »

Le préfet, qui n’était pas resté indifférent à cette comédie, était trop avisé pour croire que de tels moyens feraient fléchir Madame Manzon. Après avoir invité Messieurs Enjelran et Clémendot de sortir. Il se retira avec elle, et comme il n’ignorait rien de son pouvoir de séduction, il lui fit des compliments. Voici ce que m’a raconté Clarisse de leur entrevue. « Quand nous fûmes seuls, il m’ parlé avec tant de douceur, et ses manières jointes à tant de gentillesse me montrèrent la voie de la sagesse ». Clarisse pouvait-elle chagriner cet adorable préfet ? Subjuguée, elle convint de tout et signa.

Mais son supplice, qui venait de durer huit heures, était loin d’être terminé. Ni le comte d’Estourmel, ni Monsieur Enjelran n’étaient dupes. Son récit était semé d’incohérences qui prouvaient qu’elle n’avait jamais mis les pieds dans la maison Bancal. Aussi pour donner plus de corps à son récit, le prévôt proposa-t-il de conduire sa fille sur les lieux du prétendu crime.


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