Magazine Journal intime

Rapports humains

Publié le 13 février 2008 par Ali Devine
Je sais pas vous, mais nous, c'est un peu tendu en ce moment.



Rapport d’incident     Elève concerné : Ibrahima Doucouré, 6° D Date et lieu de l’incident : file d’attente de la cantine, 11 févier, peu après midi.   Description des faits :  
Dans la file d’attente, devant le guichet, Ibrahima chahutait avec un camarade, qu’il empêchait de prendre son tour. Madame Benali lui a demandé de se calmer et de laisser passer l’autre élève, mais Ibrahima a refusé avec insolence (« pourquoi vous me touchez ? »). J’ai alors pris le relais, en priant Ibrahima, non seulement de se calmer, mais aussi de retourner au début de la file d’attente (qui ne comportait pas plus d’une demi-douzaine de personnes). Il a catégoriquement refusé, et m’a mis au défi de le faire obéir. Le prenant au mot, je l’ai poussé au niveau de la poitrine. Il s’est emporté. Il se scandalisait que je le touche et, en même temps, il refusait de reculer d’un millimètre. Comme aucun surveillant ou CPE ne se trouvait dans les parages à ce moment précis, je l’ai alors fait sortir du bâtiment par la force, en le poussant. Pendant toute la durée de cette confrontation, Ibrahima n’a cessé de répéter « Vous êtes ouf », « D’où vous me touchez » et « J’en ai rien à foutre ». La tension était très vive mais j’ai finalement réussi à le mettre à la porte, et à la refermer avant qu’il ne se faufile à l’intérieur.

   (s.) Ali Devine 

"Eh ben oui", me dit avec fatalisme le CPE M. Paserot en découvrant mon rapport, "qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Tu sais qu'Ibrahima est en sixième SEGPA, et cette année, dans cette classe, ils sont tous mabouls. En Seine-Saint-Denis, un bon quart des élèves justifieraient d'une orientation en SEGPA ; alors ceux qui y vont vraiment, tu te doutes que c'est la crème de la crème ! Et moi, quand je demande un suivi psychologique sérieux pour un des élèves, je mets jusqu'à deux ans pour l'obtenir."
Quand Ibrahima entre en fureur, son strabisme s'accuse et ses yeux partent dans tous les sens ; on ne peut pas le fixer en face.

Le matin même, Catherine, qui a le bonheur d'être le prof d'arts plastiques de ce garçon, avait rédigé ce rapport :

"Ibrahima arrive avec un bon quart d'heure de retard et ouvre la porte à la volée sans s'excuser ni d'ailleurs me dire le mondre mot. En entrant dans la classe, il déplace une table, renverse deux chaises et se dirige vers un camarade avec l'intention manifeste de le gifler. Comme je m'interpose, il me repousse en criant 'faut pas me faire chier moi ! faut pas me faire chier !' Durant le cours, il dégrade systématiquement le matériel qui lui est confié, et passe son temps à répéter mon nom de famille : "Loiseau, Loiseau, c'est qui Loiseau ? Loiseau, Loiseau", etc, pendant quarante minutes."

Nous échangeons nos impressions sur ce caractère intéressant. Elle travaille à Djerzinski depuis cinq ou six ans et me dit :
"Ibrahima me fait penser à un autre fou qu'on a eu dans le temps. Il y avait une demi-douzaine de phrases qu'il répétait constamment, de façon obsessionnelle. Quand il entrait au CDI, il disait : 'C'est combien pour sucer ? C'est combien pour sucer ? C'est combien pour sucer ?'"



Rapport d’incident

 
Elève concernée : Camélia Boubay, 4° 7 Lieu et date : salle 41 H, 11 février, 11 heures.     Description des faits :

Avant d’entrer en cours, Camélia s’est chamaillée avec un camarade. Au cours de la dispute, un flacon d’autobronzant, qui se trouvait dans le sac de Camélia, a été cassé. M. Paserot s’en est mêlé et, considérant l’incident comme clos, j’ai demandé aux élèves de rentrer dans la salle de classe. Mais Camélia était très mécontente et ne cessait de râler contre la façon dont le CPE avait réglé l’affaire (« Ouah msieu Paserot, y croit trop que jsuis sa copine »). J’ai alors demandé à cette élève de se taire, en ajoutant que si elle avait un cartable, avec des cahiers et des livres, plutôt qu’un sac à main, avec un téléphone portable et des produits de beauté, ce genre d’incident ne se produirait pas. Elle m’a répondu du tac au tac : « Ben achetez-moi des feuilles. » En effet, le cartable de Camélia a selon ses dires été volé il y a une dizaine de jours, et toutes ses fournitures scolaires ont disparu à cette occasion. Elle n’a depuis absolument plus rien pour travailler, et attend apparemment qu’on la dédommage pour racheter le nécessaire. Comme le ton insolent et vulgaire de Camélia me paraissait peu compatible avec la poursuite du cours, je lui ai demandé de sortir cinq minutes dans le couloir pour se calmer. Elle a alors empoigné son sac à main et est partie sans demander son reste. Je n’ai pas cherché à la rattraper. Une demie-heure plus tard environ, elle est revenue pour me demander, de la part des surveillants, un formulaire d’exclusion en bonne et due forme et du travail. Je lui ai alors expliqué que je ne l’avais pas exclue, mais qu’elle s’était enfui, ce qu’elle a violemment contesté. Je lui ai ensuite annoncé que j’allais rédiger un rapport à son sujet, elle m’a demandé pourquoi, et en entendant mes explications elle s’est écrié : « c’est vous qui mentez » puis « vous devez vous laver les oreilles ». Ce genre d’incident, concernant Camélia, est parfaitement banal, et je pourrais rédiger un rapport après chaque heure ou presque. Le seul et unique moyen de parvenir à faire cours est de l’exclure le plus vite possible ; sinon, toute l’énergie de l’enseignant est accaparée par le conflit suscitée par cette élève, si on peut encore la qualifier ainsi.
 
   (s.) Ali Devine


A la cantine, encore troublé par cette n-ième confrontation avec Camélia, j'avoue à mes collègues : "C'est la première fois que je hais une élève."
.
En sixième, Frédéric, à qui je demande si ça ne le gêne pas trop de couvrir ma voix par ses propres bavardages, me répond : "Vous dites pas mon prénom, d'abord."

J'en parle avec Catherine Loiseau, qui est son professeur principal. Elle me répond : "Ecoute, je ne sais plus quoi faire. Hier soir, j'ai passé pas loin d'une heure et demie au téléphone avec la mère, et la situation est inextricable. Tu te souviens du cocard qu'il avait le dernier jour ? Je l'ai envoyé à l'infirmière, qui a fait un signalement parce qu'elle croit que Frédéric se fait battre à la maison. D'ailleurs, c'est sans doute vrai qu'il se prend une bonne trempe de temps en temps. -Eh bien, les services sociaux ont embrayé avec une rapidité inhabituelle et la mère a été avertie qu'elle allait recevoir la visite d'un type de la DDASS, que si on constatait d'autres coups Frédéric serait placé en famille d'accueil, et caetera. Du coup, le Frédéric, il a compris qu'à partir de dorénavant il était absolument intouchable. Et il a juré de faire regretter à sa mère le jour où elle l'a mis au monde. Il lui fait du chantage en permanence, il vandalise leur appartement, et en plus il la nargue : tu peux plus rien me faire ou j'appelle le monsieur, na na nèreuh ! Elle m'a dit que sa dernière lubie, c'est de faire des trous dans les murs avec tous les objets pointus qui lui tombent sous la main : compas, tournevis, couteaux de cuisine, etc.  


Rapport informatif
Elèves concernés : Naoufel Bencheikh, Cindy-Lou Fabiole (4° F)
Date et lieu de l'incident : 12 février, cours de mathématiques

Description des faits :

Au bout d'un quart d'heure, Naoufel n'avait toujours pas sorti ses affaires, il n'arrêtait pas de se lever, je devais lui dire de s'asseoir à chaque fois, et de sortir ses affaires, puis il s'est mis à "taquiner" Cindy-Lou en tripotant ses affaires, et elle s'est mise à HURLER dans la classe ("Putain, tu fais chier", "Va te faire enculer", "Je t'emmerde") et elle est partie du cours en colère. J'ai exclu Naoufel, puis Cindy-Lou est revenue deux minutes plus tard dans le calme. Je ne l'ai pas exclue, je lui ai dit qu'on allait discuter à la fin de l'heure de ce qui s'était passé. Mais à la fin de l'heure, elle s'est sauvée."

(s.) Adrien Malzieu


"Alors", me raconte monsieur Malzieu en revenant sur ce cours pénible, "alors je lui dis : 'Tais-toi' et il me répond 'Ben je me suis tait !'"



Rapport d’incident
  Elève concernée : Ensemble de la classe de 5° 7 Lieu et date : salle 41 H, lundi 12 février, 13 h 30 – 15 h 30.     Description des faits :
L’ensemble du cours a été très pénible, les élèves consacrant la majeure partie de leur énergie à discuter les uns avec les autres ou à plaisanter (sans que l’on puisse désigner un coupable en particulier : à de très rares exceptions près, tous se sont à un moment ou à un autre fait remarquer, y compris les meilleurs). Quelques évènements : -A la pause que j’ai laissée entre les deux heures de cours, un élève qui passait dans le couloir a chapardé en passant la trousse d’Ümeyhan. Je l’ai poursuivi pour récupérer l’objet. Quand je suis revenu, plusieurs élèves de 5° 7 se battaient (« pour rire »), une table et plusieurs chaises avaient été renversées, les affaires de Majdouline avaient été fouillées et on lui avait volé un sac de bonbons et un euro. -Au début et à la fin du cours, les élèves ont pris la désagréable habitude de pousser à l’unisson un grand cri, en prenant pour cela n’importe quel prétexte : que j’annonce un contrôle, un devoir à la maison, un report de cours ou une punition collective, j’ai toujours droit à un grand « ooooooh ! » suivi par deux minutes d’hilarité générale. Les élèves mettent par ailleurs un temps infini à quitter la salle de classe à la sonnerie : on a beau leur aboyer dessus, ils ne bougent pas d’un millimètre ; ils sont trop occupés à échanger les derniers potins. 
-Pendant le cours, les remarques et les comportements stupides viennent de partout. Quand Jude ne fait pas mine d’avaler un sac en plastique, Alberto esquisse un mouvement de tecktonic ; je dois exclure Zara qui s’emporte, mais j’apprends cinq minutes plus tard que Fayçal l’avait traitée de « connasse ». Un exercice sur l’association « Ni putes ni soumises » donne lieu à un véritable déferlement de blagues idiotes.   Bref, l’ambiance n’est plus au travail et c’est très pénible.

   (s.) Ali Devine

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LES COMMENTAIRES (1)

Par m6journaliste
posté le 02 mars à 20:38
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Bonjour,

Journaliste pour l'émission de Marc-Olivier Fogiel sur M6 ("T'empêches tout le monde de dormir"), je prépare un sujet sur la violence scolaire à l'occasion du verdict rendu à l'agresseur de Karen Montet-Toutain. Une sanction annoncée alors qu'a été publié jeudi dernier le bilan du rapport de l'Observatoire de National de la Délinquance.

Je suis à la recherche d'un professeur, en collège ou lycée, qui accepterait de raconter son expérience d'enseignant en "zone sensible", et de donner son point de vue sur les mesures annoncées par le gouvernement pour instaurer le retour de l'autorité à l'école.

Si vous habitez Paris/IDF, et que vous êtes libre lundi 3 mars dans l'après-midi pour une courte interview filmée (anonyme ou non), merci de contacter Pierre au plus vite, à toute heure, par téléphone au 06 14 23 54 19.

N'hésitez pas à transmettre ce message à d'autres collègues qui pourraient être concernés par ce sujet.

Vous rappelant le caractère urgent de ma demande, je vous prie d'agréer mes salutations distinguées.

Pierre - Journaliste "T'empêches tout le monde de dormir" PAF Productions / M6 Tel : 06 14 23 54 19 Mail : [email protected]

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