Une maladie auto-immune, c’est quand votre corps se retourne contre vous, s’attaque lui-même. Vous en avez entendu parler si vous regardez Docteur House, mais même sans ça, vous en connaissez forcément sans le savoir. Le cancer est une maladie auto-immune : les cellules cancéreuses attaquent les cellules saines.
La mienne est beaucoup moins grave, je vous rassure. Son nom barbare, c’est thyroïdite de Hashimoto. Je rappelle que la thyroïde est une glande endocrine, c’est-à-dire qu’elle fabrique des hormones qui régulent différentes activités du corps. Or la mienne est en état de siège depuis déjà quelques années : un régiment d’anticorps y campe sans autorisation, et au lieu d’attaquer des antigènes (corps étrangers comme des virus ou bactéries), ils se retournent contre mes hormones thyroïdiennes…
Je présente ça de façon humoristique, toujours. Mais n’empêche, savoir que son propre corps vous attaque de l’intérieur, c’est une sensation étrange. On se sent terriblement impuissant.
Pour l’instant, j’en suis au stade où c’est encore réversible, c’est-à-dire que mes hormones thyroïdiennes ne sont pas encore descendues en-dessous du seuil critique, et que mes anticorps anti-thyroïdiens continuent à baisser – mais pas tout à fait assez vite à notre goût. La situation idéale, ce serait qu’ils diminuent assez pour que mes hormones puissent au moins se stabiliser, puis remonter.
Et si ça n’arrive pas, c’est grave ? Oui et non. Oui, car c’est dangereux de vivre sans ces hormones. Et non, parce qu’on peut en ingurgiter de synthèse qui font très bien l’affaire. Par contre, ça veut dire les avaler tous les jours pour le restant de ma vie – car une fois qu’on a commencé, pas de retour en arrière : vexée que des immigrés viennent lui piquer son boulot, la thyroïde se met en grève perpétuelle. Et surtout, il y a des ajustements à faire en permanence – c’est normalement la thyroïde, avec laquelle on aurait décidément dû négocier, qui régule les taux d’hormones. Ca veut dire passer de l’hypothyroïdie (ma tendance actuelle) à l’hyperthyroïdie, de l’apathie à la surexcitation, de la prise de poids à la perte de poids (en un an d’hypothyroïdie, j’avais pris 3-4 kilos que j’ai perdu sans rien faire de spécial une fois que mon nombre d’anticorps a commencé à diminuer), etc. Le pire étant, paraît-il, pendant les grossesses, où les hormones font déjà n’importe quoi en temps normal.
Donc pour résumer, dans tous les cas, je survivrai – à moins d’être fauchée par une Porsche noire roulant à 100 en ville demain, mais n’est-ce pas notre lot à tous ? Mais je préfèrerais l’option « vie à peu près normale », d’autant plus que j’ai toujours été incapable de prendre un traitement quelconque de façon vraiment régulière…
Il y a des options alternatives, encore très expérimentales car peu explorées par les Scientifiques, mais qui marchent sur certaines personnes dans certains cas. Ma maman s’est beaucoup renseignée à ce sujet, et nous avons décidé après le résultat de mes dernières analyses (les hormones baissent toujours, la diminution des anticorps continue mais ralentit) de tenter 6 mois de régime sans gluten et sans lactose.
Avez-vous une idée de la difficulté à trouver des produits sans gluten ET sans lactose ? Je ne vous le souhaite pas. Ils en mettent partout, ou alors pour pas mal de produits, il est écrit « peut contenir des traces de gluten et de lactose », vous savez, comme pour « traces d’arachide et de noisettes » (pourquoi pas « traces de cyanure et d’uranium radioactif » ?), ce qui veut dire que le produit a été fabriqué sur la même machine que d’autres produits qui en contiennent, ou peut-être qu’il arrive au type qui actionne les machines de renverser son verre de lait dans les cuves, qui sait ? Dans tous les cas, ils ne garantissent rien. Ce qui fait qu’en plus de me priver de biscuits au blé et de chocolat au lait, par exemple, je dois aussi faire attention au chocolat noir, qui « peut contenir des traces de lait », et à la farine de sarrasin ou de maïs, qui « peut contenir des traces de blé ». De plus, il faut concilier les deux obligations : pour remplacer le lait, il me faut du lait végétal… qui contient parfois du gluten ! Dans ces conditions, faire ses courses devient un parcours du combattant – et mieux vaut ne pas trop regarder les prix. Quant à manger au restaurant, faudra qu’on m’explique. Oui, monsieur au fond ? Ah oui, ne jamais aller au restau, c’est une idée.
Et puis c’est aussi un reconditionnement psychologique complet. En situation normale, après presque trois semaines de régime, je m’en sors : je sais ce que je peux manger ou pas. Mais dès que le contexte change un peu, je gaffe : j’ai par exemple avalé un bout de pain pour tester des rillettes de saumon dans un magasin, et une moitié de Tuc lors d’un apéritif en famille (alors que j’avais préparé en plus des toasts sur du pain sans gluten…). Rien de grave, dites-vous ? Il faut quand même que j’apprenne à faire plus attention, car toute trace de gluten ou de lactose pourrait annihiler mes autres efforts.
Au bout des 6 mois, on verra ce que disent mes analyses. S’il n’y a eu aucun effet, je me serai privée pour rien (d’autre que cette certitude) et serai condamnée à attendre de voir si ma thyroïde s’en sort toute seule ou pas. S’il y en a un, on va faire des tests pour les métaux lourds à l’étranger (Belgique, Allemagne…). En effet, de nombreux problèmes comme le mien seraient liés au mercure, par exemple – ma mère a des plombages au mercure et il est possible qu’elle m’en ait transmis pendant la grossesse, et le mercure peut aussi servir d’adjuvant dans de nombreux vaccins – même si les dentistes français affirment haut et fort que ce n’est pas dangereux du tout. On ne fait pas ces tests en France – pourquoi tester quelque chose qui n’est pas dangereux ?
Si j’ai trop de métaux lourds dans l’organisme, ce sera en fait une bonne nouvelle, car la solution est simple : des kellations. En gros, avaler un truc (un agent kellatoire) qui attire les métaux lourds et est éliminé par la voie normale. Il faut évidemment faire ça de façon surveillée, puisque faire sortir les métaux lourds de leur cachette n’est pas anodin et peut entraîner une détérioration de l’état dans un premier temps.
Si ce n’est pas le cas, mais que le régime a quand même eu un effet, alors il faudra continuer sans gluten et sans lait pendant encore au moins un ou deux ans – le temps que mes anticorps aient suffisamment diminué. Et à ce moment-là, il faudra voir si la reprise d’une alimentation « normale » relance mon problème ou pas – si ma thyroïde est assez costaude pour prendre son envol, ou s’il faut continuer ce régime à vie. J’espère pas, parce que le fromage, le vrai beurre, la crème fraîche, et même le lait, dont je ne suis pourtant pas fan, commencent déjà à me manquer – côté blé c’est moins dur puisqu’il existe des pâtes de riz et de maïs, des céréales et biscuits divers sans gluten, etc.
Pour l’instant ça va, mais là où ça va être plus dur, c’est à la rentrée. Seule dans mon p’tit appart à Paris, à faire les courses dans un Monoprix très mal achalandé (paraît qu’on trouve tout à Paris, j’demande à voir – ouais, on doit pouvoir tout trouver, en faisant des heures de métro, tandis qu’en province on peut aller dans UN supermarché et avoir l’essentiel, même avec un régime bizarre comme le mien), sans pizza au congel pour quand je rentre tard avec plein de devoirs (ou juste quand j’ai la flemme) – en fait, on va essayer de me préparer des pizzas sans gluten et de les monter à Paris. Ainsi que des galettes sans gluten, du pain sans gluten (non, je n’irai pas exprès dans une boulangerie à une heure de chez moi à chaque fois que je veux du pain, c’est-à-dire au moins deux fois par semaine).
Le bon côté des choses, c’est que ça va aussi me faire manger plus sainement : quand on est forcé de regarder les étiquettes de tout ce qu’on ingurgite, 1) on est dégoûté par certains ingrédients, même s’ils sont autorisés par notre régime, et 2) on ne grignote que si on en a VRAIMENT envie, et pas par réflexe. Et par effet de vase communiquant, je vais forcément manger plus de fruits et légumes (ce qui est bon pour la santé en général, et aussi pour ma thyroïde en particulier).
C’est comme l’attention continue que je dois porter à ma gorge, pour n’attraper aucun rhume, pharyngite, laryngite et j’en passe. On s’y fait et cela devient plutôt un avantage, on est malade moins souvent et on se soigne mieux que les gens « normaux » qui attendent que « ça passe ». Aurais-je préféré ne pas risquer de flinguer ma thyroïde à chaque fois que je prends froid ? Bien sûr, tout comme je préfèrerais ne pas avoir à trop réfléchir à ce que je peux ou pas mettre dans mon assiette. Mais la situation est ce qu’elle est, et j’agis au mieux pour ne pas avoir de regrets plus tard. C’est chiant la responsabilité, mais je préfère ça à accepter de me sentir impuissante.