Magazine Journal intime

Roman épistolaire – 6e échange

Publié le 25 juin 2011 par Gintonhic @GinTonHic

Ouf! Ta dernière note m’a secouée comme on secoue une vieille moppe grise, tu sais, celles avant l’aire du Viléda. Oui, comme une vieille moppe, tordue, abandonnée dans un fond de cave blanc d’humidité.

Là, je te reconnais dans le verbe. Tu m’as toujours grisée par tes paroles si pleines de sens, si pleines tout court. J’voudrais avoir l’imagerie de tes mots gravés dans le fond de mon coco pour te parler avec cette aisance que tu as, que tu as toujours eue.

Je t’envie. Ta façon de dire les choses. Vlan! Sans artifice. Moi, je parle, je sais, je parle. Mais ce n’est pas parce que je parle que je dis quelque chose.

Ah! je me soigne. Et à 400 $ par mois de psy, j’espère que je vais comprendre vite!

Enfin…

J’ai aimé l’image de toi devant cette fenêtre grouillante. Ça m’a donné le coup de pied qu’il me fallait pour sortir dehors, pour regarder le monde, voir ce qu’il a dans le fond des yeux ce fameux monde.

Tu ne croiras peut-être pas, mais j’ai passé le jour de Pâques à me trimballer dans le train : Deux-Montagnes/Gare Centrale de Montréal.

J’ai payé le premier billet dans cette foutue machine bleue dont je n’arrive pas à lire les chiffres. Chiffres argentés embossés sur boutons argents! Veux-tu bien me dire c’est quoi l’idée d’avoir des distributrices de « tickets » de train quand t’arrives même pas à voir le chiffre qui correspond à ta destination? C’est à croire qu’il faut être aveugle pour prendre le train!

Mais c’est pas mon genre de me faire niaiser par une sapristie de machine! J’ai appris les codes par cœur : A11 pour la Gare Centrale; A15 pour Deux-Montagnes. Premier bouton en haut ; dernier bouton en bas. Terminus! On débarque.

Bien voilà, tu sais dans quelle ville j’habite maintenant. Et tu ne dois pas en croire tes yeux. Moi, Frédérique, TA Fred, dans le 450! Ce serait trop long t’expliquer. Je n’ai pas le goût. Pas là. Pas ce soir. Peut-être un autre jour?

Où en étais-je donc?

Ah oui! ma journée de Pâques dans le train avec mon unique billet.

Il n’y avait pas foule à Pâques. Pas grand monde qui travaillait non plus. Personne n’a vérifié mon billet. Tant mieux, je n’ai pas eu besoin de raconter que je m’étais endormie tout ce temps.

Bref, j’ai fait l’allé- retour cinq fois. Assise à l’endroit réservé pour les bicyclettes.

Les bicyclettes, tu te demandes?

T’as déjà pris le train de banlieue? Il y a des espaces pour bicyclettes. C’est juste plus spacieux. J’aime m’y asseoir parce que je n’ai pas à subir l’haleine des passagers d’en face. Et puis, je peux m’allonger les grandes jambes « de girafe », comme tu disais toujours.

Alors, j’ai fait comme toi devant ta fenêtre. J’ai observé les gens.

Que faisaient-ils dans le train à Pâques? Étaient-ils seuls comme moi? Où bien, allaient-ils voir leur père malade au CHSLD? Peut-être allaient-ils retrouver leurs enfants déposés au MacDo par leur ex? Peut-être y avait-il une histoire d’amour dans ce sac blanc que transportait ce jeune homme aux yeux pétillants d’azur. Je serais bien redevenue ado quelques instants pour que ses yeux me transpercent!

Roman épistolaire – 6e échange

Ça m’a fait penser à nous, plus jeunes, dans l’autobus. Tu te rappelles, on avait fait un voyage organisé à New York. Trois jours à courir, comme des fous apeurés, derrière l’espèce de Road Runner qui nous servait de guide. Mon Dieu qu’on avait ri!

Tu t’en souviens, on n’en pouvait plus de courir. On ne pouvait même pas aller aux toilettes.

« On n’a pas le temps », criait Road Runner.

Tu te rappelles, une fois on s’est caché dans les toilettes du bus pendant que le groupe sortait pour une autre « course à relais ». Et on a baisé en malades, assis sur la toilette, les pieds dans le lavabo. On a tellement ri! J’étais folle de toi, tu sais. Ouais, j’étais vraiment folle de toi.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas pensé à ça. Puis là, à cause des yeux d’azur croisés dans un train, c’est revenu. Ce souvenir de nous, crispant mon ventre de désir, mais n’ayant que le vide à embraser. Comme quand la faim ouvre grand l’estomac fébrile qui attend satiété, mais en vain.

Et voilà que là, à l’instant, ça me revient encore, ce tiraillement qui me givre le souffle et l’esprit.

Je ne sais pas pourquoi je t’écris tout ça. Je ne voulais pas. Je… Je te laisse là-dessus. Il faut que je sorte prendre l’air. Vite prendre l’air…


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