Lyofyfisée

Publié le 28 juin 2011 par Fyfe
Le réveil sonne, des grognements s'échappent du lit.
La nuit a été courte, la faute à l'écrasante chaleur de la ville ces trois derniers jours.
L'ordre de soulever le bras et d'abattre la main sur le réveil est donné au cerveau.
Petit souci : le bras a fusionné avec les draps pendant la nuit.
Ouverture d'un demi-oeil pour vérifier la température donnée par le réveil : 28°C dedans, 25°C dehors.
Viiiiiiiite ouvrir la fenêtre.
Enfin, quand je dis "vite", c'est une façon de parler parce qu'à dire vrai, le corps a oublié la notion même de vitesse depuis qu'il a sombré dans son coma d'hyperthermie.
Prendre son thé et sa clope sur le balcon, et profiter de la relative fraîcheur du matin.
Réveiller le Crampon, le décoller des draps humides, écarter les mèches de cheveux collées à son visage.
Hésiter longuement entre métro et vélo.
Qu'est ce qui est pire : subir sa propre transpiration ou celle des autres ?
Va pour le vélo.
Avoir l'illusion que la petite brise générée par la vitesse est suffisante pour se garder au frais.
Une fois arrivée, réaliser que toute la transpiration a décidé de sortir d'un coup, pendant la tournée de bises des collègues.
Échanges de fluides. Miam.
Lancer la clim' souffreteuse à fond avec une pensée émue pour la planète un peu plus assassinée.
Réaliser que présentement, on se fout royalement de la planète.
Se positionner sous le flux d'air presque frais. Ou pas du tout.
Clim en panne.
Laisser un message d'urgence au service technique.
Prendre un café.
Regretter amèrement. La chaleur est maintenant à l'intérieur.
Avoir les jambes qui fondent au contact de l'unité centrale de l'ordinateur.
Sentir ses chevilles gonfler.
Hésiter entre les surélever et exposer sa culotte à toute l'équipe, ou laisser la mutation jambes -> piles de pont débuter.
Aller se rafraîchir aux toilettes, et constater que le maquillage du matin est recouvert d'une pellicule luisante.
Penser à vérifier plus tard sur internet si les vlogueuses ont inventé un maquillage "effet gras" et espérer que le greasy style est plutôt before the tendance.
Sortir déjeuner. Marcher longuement, à un bon rythme pour chercher le vent de la vitesse.
Se faire doubler par les mémés.
Se lyophiliser.
Pianoter sur son téléphone et se brûler les mains.
Le ranger très vite de peur qu'il fonde.
Se maudire de ne pas avoir un élastique, une pince, ou un trombone pour relever ses cheveux qui commencent à coller à la nuque.
Chercher une paire de ciseaux.
Sentir que toute cette agitation a fait migrer la surchauffe au cerveau.
Avoir la désagréable impression que bientôt Hannibal Lecter pourra le déguster sans passer par la case poêle à frire.
Avoir la sensation que ses vêtements sont en fourrure d'ours polaire.
Sentir l'élastique de sa culotte fondre.
Récupérer des morceaux de caoutchouc collés sur ses fesses.
Avoir un léger souci de tentative d'évasion de culotte.
Laisser un 158ème message au service technique avec menace de mort douloureuse.
Atteindre péniblement la fin de la journée de boulot.
Rentrer chez soi et espérer bêtement que les volets auront préservé un peu de fraîcheur.
Se débarasser de toutes ses fringues en laine de yack et se jeter dans la douche.
Rester nue.
Somnoler sur le canapé.
Essayer de retirer ses vêtements.
S'apercevoir qu'on n'en n'a déjà plus.
Googler les techniques de scalp total et l'efficacité de la performance thermique.
Sortir des glaçons et les faire fondre sur soi.
Ignorer le regard salace de son conjoint.
Repérer sa main qui s'approche grâce à l'augmentation locale de 2°C qui en résulte.
Ne pas avoir la force d'exprimer le fond de sa pensée, mais lancer un regard éloquent, qui suppose que la condition nécessaire et non suffisante d'un imminent échange de fluide à caractère sexuel est qu'il se soit préalablement intégralement surgelé.
Laisser un dernier message de menace au service technique du bureau, et essayer de dormir.
Je crois que je supporte mal la chaleur.