Magazine Journal intime

Roman épistolaire – 7e échange

Publié le 29 juin 2011 par Gintonhic @GinTonHic

Curieuse, ta dernière lettre!  Curieuse, sans doute parce que tu l’as toujours été toi-même, curieuse, en tout et partout.  Je te l’ai déjà dit, et plus d’une fois, d’ailleurs, la curiosité est une de tes plus belles qualités.  Pourquoi je trouve tes derniers mots si particuliers?  C’est à cause du train.  Oui, oui, tu lis bien, tu as les yeux en face des trous et tu lis bien.  On dirait, je sais, je regarde peut-être pas dans la bonne direction, mais on dirait… que tu te rapproches de moi.  Déjà que, de quitter le 450 pour une journée et t’en venir sur l’île de Montréal, c’est faire quelques bons pas en ma direction.  Autrement dit, j’ai l’impression que tu te rapproches de moi, sans doute sans trop savoir que tu le fais et pourquoi tu le fais.  Ç’a l’importance qu’on lui donne, et je lui en donne pas plus qu’il le faut.  C’est juste que, bien malgré moi, ça me touche.  Oui, c’est ça, ça me touche.  Comme du bout du doigt, un petit contact, rien que ça, un petit contact de ton doigt sur ma peau…

Moi aussi, on le dirait bien, je suis en « train » de me rapprocher de toi.  J’ai plein de douceur en moi aujourd’hui.  J’ignore pourquoi mais, cette douceur a un petit côté tristounet.  Le temps passe et emporte tellement de choses!  Des choses dites, des choses pas dites, des gestes faits, des gestes pas faits.  Le temps est gras comme un voleur.  C’est lui et lui seul, qui va gagner en bout de piste.  Tu le sais, j’ai jamais cru à la grande envolée qu’on nous promettait dans les églises de notre enfance.  Tu le sais aussi, c’est pas méchant de ma part.  C’est juste que j’en sens pas le besoin.  J’aime la vie, malgré tout ce qui est difficile à vivre.  Ma mort m’intéresse pas, encore moins ce qu’il pourrait y avoir après.  La mort des autres m’intéresse, me touche, me chamboule, me tord le cœur comme une vieille guenille mouillée, mais la mienne, non.  C’est comme si j’allais pas y être, à cette dernière scène.  Quand ma mort sera là, j’y serai plus.  Je sais pas comment tu reçois ça, mais, moi, ça me fait du bien, ça me rassure et ça me dit de vivre pendant que je suis vivant.  

Roman épistolaire – 7e échange
C’est ce qu’on a fait à New-York, oui, je m’en souviens comme si c’était hier : on a vécu à fond le présent.  Le présent, il faut le dire et le redire, le présent, le mot le dit bien, c’est un cadeau!  On était pleinement là, à courir, oui, à courir et à regarder partout, à voir les étincelles de folie douce dans nos yeux quand le désir nous a pris, comme on dirait, par le dessous des bras, et nous a fait nous aimer dans une quelconque et étroite toilette de bus!  Les plus grands plaisirs sont souvent les plus simples et les plus imprévus, rarement reliés à des chambres luxueuses et à des gros sous . 

Tu as toujours aimé le mouvement.  Je t’ai toujours senti bien, à l’aise, allumée, pleine de vie quand tu es en mouvement, dans tes souliers, dans un bus, dans un train…  Pas toujours facile à suivre, ça c’est vrai… et normal.  Un humain, que ce soit toi ou moi, ç’a quelque chose d’énorme et de difficile à décoder tout le temps,  à comprendre tout le temps.  Ça bouge, justement, un être humain.  Tu bouges, tu changes, de seconde en seconde.  Même chose pour moi, bien sûr et certain.  C’est pour ça que j’aime nos échanges de lettres.  Peut-être la meilleure façon de reprendre contact, parce que ça se fait doucement.  Chacun de notre côté, on a bougé dans d’autres présents, dans d’autres lieux, dans d’autres bras, depuis des années.  Peut-être que si on s’était vus sans ce passage, cette reprise de contact, par les mots, peut-être qu’on se serait pas rejoint autant.  Même s’il nous reste des pas, des sauts à faire pour se retrouver encore davantage, j’entends le roulement de ton train vers mon île.  Le 450 est une terre ferme.  Montréal est une île.  Qu’es-tu donc allée faire sur cette terre ferme?    As-tu des enfants et le mari qui vient avec?   

Une dernière chose m’intrigue mais, bien sûr, tu me dis ce que t’as envie de me dire à ce sujet.  Parlant de dire : que racontes-tu au psy, qui demande tant à être dit?  Ne penses pas que je te juge, que je te trouve folle ou je sais pas quoi parce que tu consultes ce genre de spécialistes.  Non, pas du tout, au contraire, quand on se sent pas bien, ils sont là pour aider.  Mais, justement, tu te sens pas bien?  Entends-tu venir ma question sur ses rails : et moi, y suis-je pour quelque chose dans ton malaise?  Moi, ma personne et ce que tu en as connu, ou moi comme représentant de la race de monde comme appelle mâle?  Pas facile les relations hommes femmes.  Pas faciles, mais pouvons-nous très longtemps nous en passer?  D’autant plus, il faut bien le dire, qu’on en apprend pas mal sur soi-même, dans ses relations, pas juste sur le représentant de l’autre sexe qu’on tient dans nos bras ou qu’on repousse. 

Une dernière dernière chose.  Malgré ce que tu viens de lire, quand j’ai dit que je sentais que tu te rapprochais de moi en prenant le train, crains rien, je suis pas pressé qu’on se revoit et je suis même pas sûr que ça va se faire.  Mais l’espèce de rapprochement que je sens… j’aime ça.  C’est tout. 

Q’es-tu allée faire à Montréal, finalement, ce jour-là?  À moins que tu sois restée dans le train à rêvasser au passé et que tu sois retournée sur ta terre ferme de Deux-Montagnes sans même débarquer?  Deux montagnes, même aussi belles soient-elles, est-ce assez pour une femme qui a de l’appétit comme toi?  Une chaîne de montagnes, dans le Bas-du-Fleuve, par exemple, les Appalaches, ou en Gaspésie, ç’aurait pas été préférable?  Tiens donc, je sens remonter en moi la taquinerie.  Je me sens plus tristounet.  Merci d’être là, quelque part et de vouloir encore m’écrire. 

Écrit par Martin Thibault Écrivain


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