Ca m’est venu comme je lisais le dernier Beigbeder à la plage il y a deux semaines. L’auteur nous expliquait qu’il n’avait aucun souvenir de son enfance, avant de passer tout son livre à évoquer lesdits souvenirs. Et moi, est-ce que j’ai des souvenirs ? Et lesquels ? Est-ce qu’en récupérant à droite à gauche les morceaux de ma mémoire que j’ai laissé trainer on pourrait reconstituer ma personnalité comme on résoudrait un puzzle ? J’ai vingt-trois ans, je sais ce que signifie le terme Magyar, j’ai des souvenirs de ce qu’est la république de Weimar, sans savoir où j’ai appris ces choses-là. Mais je suis infoutu de me rappeler de quoi parle ce spectacle que je suis allé voir au théâtre de la Madeleine il y a pas six mois. Pourquoi ?
J’ai quelque chose comme dix ans. Je suis en vacances chez mes grands-parents paternels et un de mes cousins est ici pour la journée. Mes grands-parents disent toujours que les gamins de cette famille ont toujours eu une mauvaise influence sur ceux de la notre. Moi je sais simplement qu’avec le cousin Nicolas on ne s’ennuie jamais. Et donc on s’amuse à jeter des bogues de marrons sur les voitures qui passent le long de la route que surplombe la propriété familiale. Le plus souvent les projectiles tombent trop tôt et sont écrasés par les roues des voitures. Du coup la route est couverte de traces verdâtres juste devant le portail du voisin, qui est furieux. Je me souviens que ce jour-là on finit par atteindre le pare-brise d’une automobile qui s’arrête un moment (stupeur), puis redémarre (soulagement) pour entrer chez mes grands-parents (panique). Je me souviens qu’avec Nicolas on n’ose rentrer que lorsque l’on n’a plus le choix (à savoir pour le diner), pour apprendre de mon grand-père que c’est un employé municipal qui s’est fait bombarder et qui est venu dans l’après-midi passer un savon aux propriétaires du marronnier. Voilà ce dont je me rappelle. Avant, après, c’est le vide. Peut-être qu’en allant chercher d’autres fragments on pourra comprendre pourquoi celui-ci m’est resté.
C’est fou ce qui peut vous arriver en lisant le dernier Beigbeder à la plage.