C’est bien connu, l’image de soi est capricieuse. J’en ai récemment eu la preuve à deux reprises.
Tout d’abord, j’ai repris la création de mon album photo/carnet de voyage des Etats-Unis, que j’avais laissé en plan l’été dernier après en avoir réalisé un bon tiers. Et sur les photos de moi en Californie, je me suis trouvée plutôt mince. Or, à l’époque, j’avais pris quelques kilos et tentais tant bien que mal de manger moins – dur dur quand on mange au restau au moins une fois par jour comme avec mes hôtes, Jack et Grace… Je n’irais pas jusqu’à dire que je me trouvais grosse, mais j’avais la ferme intention de limiter cette prise de poids. Cela dit, je courais aussi énormément (en moyenne 1h par jour, 4 ou 5 fois par semaine) et il faut croire que ces kilos supplémentaires étaient plus faits de muscle que de graisse…
A l’époque j’étais aussi un peu complexée par mon acné, que j’avais du mal à contrôler entre le décalage horaire et les trajets qui m’avaient un peu chamboulée, la nourriture grasse, et la quantité de choses plus intéressantes que j’avais à faire. Ces boutons qui me semblaient alors si voyants se remarquent-ils sur mes photos de voyage ? Pas tant que ça. Avec à peine plus d’un an de recul, je ne vois déjà plus que mon sourire resplendissant et la lueur de bonheur dans mes yeux.
Et puis j’ai aussi retrouvé plusieurs de mes photos de classe de maternelle, de primaire et du collège. Dans mon souvenir, j’aimais bien l’école jusqu’en 6ème. Pourtant, sur les photos de classe, dès le CE2, je me trouve l’air fatigué, las, le sourire triste et les yeux sans cette lueur que j’avais en maternelle… ou aux Etats-Unis. Déjà des cernes sur le visage, les cheveux ternes. Ce qui ne fait que confirmer une impression que j’avais déjà depuis quelques temps : cela faisait déjà longtemps que je n’étais plus heureuse à l’école, mais je refusais de l’admettre. J’avais tellement intégré le fait d'aimer l’école à mon identité qu’il était trop douloureux d’accepter que ce n’était plus le cas, et plus « simple » (bien que pas sain) de continuer à faire comme si et de me remettre en question, moi (pas normale) plutôt que cette institution que je voulais continuer à admirer.
Si je ressortais des photos de moi à la maison, en famille, à la même époque, et j’en ai quelques unes en tête, on n’y verrait pas la même enfant. Chez moi, j’étais dynamique, enjouée, souriante, pleine d’imagination ! Le problème venait de l’école et y est resté confiné pendant de nombreuses années… Jusqu'à ce que ça finisse par déborder.
Autre remarque : j’ai trois grains de beauté sur le nez depuis ma plus tendre enfance. Au début, ils étaient si petits qu’on les prenait pour des points noirs. Ils m’ont beaucoup complexée pendant des années. Quand j’avais une douzaine d’années, ma mère m’a emmenée chez un dermato pour les examiner. Il m’a dit qu’on pourrait envisager de les enlever d’ici quelques années, mais qu’ils « faisaient partie de mon charme ». Ce que je n’ai pas réellement compris sur le moment, même si je commençais à moins me focaliser là-dessus à l’époque.
Et puis, avec les années, j’ai commencé à accepter ce qu’était devenu mon corps, et notamment mon visage, en tant qu’un tout. Avec mes grains de beauté. Puis il y a un an, j’ai eu un bouton en dessous de l’un de ces grains de beauté, bouton qu’il a fallu percer, et mon médecin a parlé de retirer ce grain de beauté pour éviter que ce bouton ne revienne… Catastrophe. Je n’aurais jamais cru que ça me paniquerait autant, mais ce grain de beauté fait partie de l’image de moi que j’ai fini par revendiquer, et il n’est pas question de l’effacer… Ce n’est pas tant une question d’esthétique (même si j’ai fini par faire mienne la phrase du dermato, « ça fait partie de mon charme ») que d’identité, purement et simplement. J’ai donc refusé, et on verra bien si le problème se renouvelle. Mais je sais déjà que si c’est le cas, je vais avoir un vrai travail de deuil à faire pour accepter cette modification de mon visage…
J’essaierai de garder ces constatations en tête la prochaine fois que je me regarderai dans le miroir, pour relativiser l’inévitable surcroît d’attention porté à tel ou tel petit défaut. Car si je suis capable de me regarder avec indulgence et affection sur de vieilles photos, alors que voient mes proches quand ils me regardent ? Moi, sans doute. Une personne dans son ensemble.