Voilà bien une expression contemporaine à laquelle on ne peut échapper. A tel point qu’il le nous viendrait même plus à l’idée de discuter sa légitimité.
Mais pour bien vivre, peut-être faut-il au contraire connaître ses limites et ne pas les dépasser. Quand on est psychotique, en tout cas, ça me paraît important si on veut aller bien.
Le principal problème est d’arriver à faire le discernement entre les limites qu’on nous met, celles qu’on nous enjoint de franchir et celles qui sont les nôtres.
Il m’a fallu quinze ans pour connaître les limites à ne pas dépasser. Savoir quand m’isoler, quand reculer pour me préserver, jusqu’où je pouvais aller. Et même après toutes ces années, les limites sont fluctuantes. Par exemple, je sais que j’ai besoin de beaucoup de solitude pour pouvoir apprécier ou supporter la présence des gens. J’ai fini par savoir comment organiser ma vie pour ne pas trop souffrir. Quand m’impliquer dans quelque chose qui me tient à coeur, quand m’en éloigner. J’arrive à évaluer le bénéfice-risque des efforts à fournir contre la maladie. Je sais que parfois je dois me laisser aller à la souffrance pour ne pas l’empirer. Je ne culpabilise plus de passer des heures au lit si j’en ai besoin, ni de ne pas parler si c’est trop difficile.
C’est difficile d’en arriver là, parce que d’un côté il y a les limites que les autres nous mettent et auquel on pourrait céder facilement: tu es schizophrène, alors tu ne peux pas travailler, avoir des enfants, faire des études, te passer d’un psychiatre, avoir trops de responsabilités, etc… Mais ça, c’est l’image d’Epinal du psychotique, et s’y conformer serait s’enfermer dans les limites qu’elle nous donne, pas forcément dans celles qui sont bonnes pour nous. De l’autre côté, il y a toutes ces limites qu’on nous enjoint de dépasser, parce qu’un psychotique doit tout de même avoir un air normal pour faire plaisir à son entourage: sortir, se lever tôt, voir des gens, sourire même si on est déprimés, etc… Qu’on n’ait pas envie de sortir, que s’enfermer dans le noir soit un besoin vital pour ne pas devenir fou face à la violence de l’extérieur, que voir des gens juste pour faire la causette nous épuise psychiquement et qu’on y trouve aucun intérêt, qu’on ait besoin de repos parce qu’on vient de faire des efforts surhumains pour faire ce qui est banal pour les autres, peu importe, ça sera vu comme des symptômes à éliminer, quand ce sont des moyens de protection et des façons de gérer la souffrance.
Difficile de trouver sa place dans tout ça, difficile de ne pas se culpabiliser et de ne pas se rendre malheureux parce qu’on ne correspond pas à ces modèles. Il faut du temps et une certaine volonté pour arriver à imposer son propre modèle, aux autres mais aussi à soi. Mais je crois que c’est la meilleure façon de vivre au quotidien avec la schizophrènie, en tout cas avec une schizophrénie (plus ou moins) stabilisée.
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