Incursion

Publié le 03 juillet 2011 par Voilacestdit

Un post de mon fils Alexandre, sobrement intitulé "Incursion".

Incursion en Birmanie à partir de l'extrême nord de la Thaïlande - occasion pour Alexandre et sa femme Julie de nouvelles sensations vécues, presque "volées" ; et pour moi, de me remémorer des moments vécus hors du temps il y aura bientôt quatre ans dans ce même pays birman "d'ailleurs", dont R.Kipling disait déjà : "Et voici la Birmanie, un pays qui sera différent de tous ceux que tu connais..." - un pays aujourd'hui toujours différent, à cause de la beauté des paysages, des pagodes, de la gentillesse de la population... mais différent aussi hélas ! du fait de l'oppression de la junte militaire et de la bêtise de ses sous-fifres, relais auprès de la population de l'imbécile dictature, qui diront plus tard, bien sûr, l'histoire est connue d'avance, "nous ne savions pas" : banalité du mal [Hannah Arendt]...


Voici le billet d'Alexandre, suivi d'une mienne remémoration :


A partir de l'extrême Nord de la Thaïlande, dans ce "Triangle d'Or" qui fascine tant les occidentaux, nous avons pu faire une incursion de quelques jours en Birmanie.
Incursion dans l'espace, dans le temps, tant ce que nous trouvâmes là était d'ailleurs.
En plein pays Shan, la junte militaire birmane n'aime pas trop les yeux indiscrets. Mais l'amour de la devise forte étant plus fort encore, les étrangers sont autorisés à la ville frontière, Tachileik, et les plus pressants (dont nous faisons bien sûr partie) peuvent même tenter leur chance et demander une autorisation spéciale, conditionnée à l'accompagnement permanent d'un guide/surveillant, pour s'enfoncer jusqu'à la ville historique de Kengtung à 150km de là. Impossible d'aller plus loin, il faudra ensuite revenir sur nos pas et nous en retourner en Thaïlande.
Je n'oublierai jamais la tête de l'officier d'immigration, à la limite extrême de la crise cardiaque, quand je lui dit qu'on veut aller à Kengtung. Quelque chose me dit qu'il n'y aura pas foule de touristes là-bas. Il tente de nous dissuader, mais évidemment, plus on te dit "n'y vas pas, n'y vas pas"...

Après quelques heures au petit bureau du ministère du tourisme, où notre requête fut acceptée et des centaines de papiers remplis et tamponnés, nous voilà donc dans le bus pour Kengtung avec notre guide, qui décide de tout et s'interpose dès que nous engageons une conversation. Le bureau a la gentillesse de garder nos passeports, pour notre confort. Un petit air de Corée du Nord ! (bon, en Corée du Nord j'avais jour et nuit 2 guides, 1 interprète et 1 chauffeur sur le dos, c'est la dose supérieure). Durée prévue : 4h30. Distance : 150km. Et pourtant la route est bonne, on ne comprend pas. Ah, après 3 checkpoints en 10km, on comprend.
Le militaire birman aime le checkpoint. Il en met à chaque entrée/sortie de chaque ville, et puis aussi un peu partout. Chaque checkpoint comporte une baraque par service (police, immigration, douane, santé, etc. les autres sont écrits en birman et le guide fait semblant de ne pas comprendre quand je demande ce que c'est). Notre guide se déplace avec des piles de photocopies de notre permis officiel, qu'il remet à chaque baraque de chaque checkpoint à chaque déplacement. Je me demande ce qu'ils en font.
Il est difficile d'imaginer qu'en 2011 on ne soit pas partout libre de se déplacer à l'intérieur de son propre pays, mais c'est bien le cas ici. Les birmans aussi ont besoin d'autorisations, surtout quand on s'approche de la frontière, et surtout les femmes de moins de 25 ans. Celles-ci doivent descendre du bus à chaque contrôle, signer des documents, promettre de ne pas s'enfuir en Thaïlande, etc. Note pratique si vous voyagez là-bas : si vous avez le choix entre deux bus, prenez celui qui contient le moins de jeunes femmes, il arrivera plus vite.
Cela dit le bus est moderne, et on nous passe un DVD thaïlandais de spectacle super chaud, gogo danseuses etc. Les moines voyageant avec nous n'en sont pas l'audience la moins attentive.
Enfin, nous arrivâmes à Kengtung, où la première activité fut... la paperasse au bureau d'immigration bien sûr ! pour demander les autorisations nécessaires au trek du lendemain. Mais ça, c'est une autre histoire.

Posted by alex

Remémoration

Nous étions en novembre 2007. Nous venions de débarquer, sac au dos, à Rangoon, tout juste quelques jours après les "événements" d'octobre qui virent les défilés de protestation des moines contre la dictature, et la sévère répression qui s'ensuivit.

Allant droit à la célèbre pagode Shwedagon, dont l'or de l'immense dôme qui la surmonte brille au loin de tous ses feux, nous fûmes  surpris de trouver le vaste parvis presque vide, vide de toute présence de bonzes : ceux-ci avaient été embarqués par les militaires.

L'émotion était forte du décalage entre la beauté sublime, intemporelle de la pagode ; et la brutalité de l'instant présent - un moment d'éternité brisé, perçé au coeur par les flèches de l'actualité.

Me revinrent en mémoire les pages écrites par Pierre Loti faisant la même pérégrination il y a plus de cent ans : "On croirait voir une grande cloche d'or, surmontée d'un manche d'or... C'est bien de l'or à n'en pas douter ; cela brille d'un éclat très fin..."

L'usure du socle de marbre et des pierres mordorées disent l'écoulement du temps... Des jeunes filles glissent sur les dalles blanches et noires ; elles se pressent autour d'une fontaine ; recueillent un peu d'eau dans le creux de leur main et la répandent sur le ventre blanc du Bouddha ; le logyi, bleu pâle, jaune clair, vert tendre marque leur taille fine...

Loti les trouva touchantes - c'étaient les mêmes... "Aux épaules elles ont des écharpes d'impalpable gaze, tantôt rose, tantôt vert d'eau, aurore ou bleu de ciel... Un peu de race jaune juste ce qu'il faut pour retrousser le coin des yeux et donner une câline expression de chatte.

Par un raffinement de coquetterie un peu décadente, elles sont jupées comme autrefois chez nous les Merveilleuses ; la soie du pagne qui leur serre les reins semble toujours mesurée très juste et, pendant la marche, s'entrouve pour laisser passer une jambe nue, très jolie avec sa couleur d'ambre..."

Loti croise une jeune fille à chaque tour de la promenade circulaire autour de l' édifice central : "Elle est partie, écrit-il, la jeune femme au pagne couleur jonquille, donc c'est fini, jamais, jamais plus je ne saurai rien d'elle".

Saurai-je plus  jamais  rien de ces moments d'éternité, quand le soleil doré atténuant progressivement son éclat s'abîmait dans le bouquet de clochetons hérissés d'épines d'or tandis que la masse de l'énorme stupa - surmonté d'un turban, d'une frise de pétales de lotus, d'une aiguille en bourgeon de bananier et d'une girouette inscrustée de diamants - jetait déjà son ombre sur le parvis brusquement déserté par le groupe des jeunes offrantes ...

"J'ai cru qu'elles emportaient toute la beauté du monde" [Rodin]

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