En l'an 1100, une grande partie de l'Espagne était sous domination arabe. En Andalousie, la poésie était extrêmement prisée par l'ensemble de la société et était un des rares moyens d'ascension sociale. Yahya Al-Saraqusti, surnommé Al-Djazzar (le boucher) avait son étal dans les quartiers populaires de Saragosse. Il parvint grace à son talent littéraire à obtenir un poste de poète et secrétaire auprès des rois de la ville. Mais, n'étant pas satisfait de ses émolument, Al-Djazzar décida un jour de planter là la cour pour retourner à sa boucherie. Il écrivit un poème pour répondre aux railleries de ses concurrents qui avaient accompagné sa démission: 'Tu as laissé tomber les vers faute d'adresse; Pour retourner à la boucherie et sa bassesse'.
Vous me raillez d'avoir élu cette maitresse;
Qui ignore les choses les rabaisse.
Mais eussiez vous taté de mon art en l'espèce,
Vous ne l'échangeriez pour rien d'autre, serais-ce
L'état de Chambellan. Pour peu que l'on connaisse
Mon amour, ma passion pour ce que je professe,
On verra que je puis endurer tout le reste.
Admettons qu'un beau jour, rendu à mon adresse
Vous tombiez sur la gente canine qui s'y presse
Gare à vos abattis! Vous crierez en vitesse:
O roi Lyon, la foret de tes hachoirs m'oppresse!
Ici tous les cabots, tous les matous attestent
Que je suis plein jusqu'à la moelle de noblesse.
Nous décimons la gente caprine avec hardiesse,
Nous semons dans ses rangs l'effroi et la détresse,
Et nous ne lâcherons messieurs les boeufs qui paissent
Qu'après avoir mêlé de sang leur bave épaisse.
Quel chameau dans nos mains n'a subi la rudesse
D'un assaut propre à lacérer bosses et graisses?
Les vieux, nous les avons vaincus, taillés en pièces
Et occis les blancs becs sans plaindre leur jeunesse.
Quiconque croit tenir tête à nos coups funestes
Finit par tomber sous nos lames vengeresses.
Un seul de nous, un seul contre mille se dresse
Pour triompher de tous, quelle immense prouesse!
Pendant que vous méditez sur ce poème, un ange passe sous mon balcon...
Poème tiré du receuil, 'Le Chant d'al-Andalous' trad. Hoa Hoi Vong & Patrick Megarbané (ed Actes Sud/Sinbad) - mon cadeau de fête des pères, bien joué les filloutes!