Il était posé dans un grand carton, sur le trottoir, au milieu des vieilles choses à jeter : entre un dossier poussiéreux, des brochures cornées et des chaises défoncées... Son oreille gauche lui cachait un oeil, tandis que l'autre, simple trait noir sous ses poils, posait un regard finissant sur les quelques passants. On lui sentait le coeur gros de cette indifférence. Lui qui avait consolé tant de gros chagrins, accompagné bien des stress et des angoisses, joué son rôle de doudou avec patience et dévouement, le voilà jeté au rebut. En partance pour la poubelle. Son temps était fini. Les petites mains douces qui l'avaient manipulé des années durant étaient probablement devenues de longues mains d'adolescent, puis peut-être des mains d'adultes occupées à autre chose. Il n'était pourtant pas abîmé, son pelage d'un beige incertain toujours aussi doux, quoique un peu froissé par toutes ces nuits à dormir à côté d'un enfant.
Je l'ai pris dans mes mains et son oreille s'est relevée, comme incrédule. Nous nous sommes regardés et je l'ai emporté avec moi. Ce matin, j'ai entendu passer la benne à ordure des "encombrants" de la ville de Paris. Toutes les vieilleries ont quitté le trottoir sauf une : un lapin en peluche, qui a changé de destin et se trouve aujourd'hui posé sur une étagère de mon salon. Son oreille cache toujours son oeil gauche, mais sa truffe bien noire témoigne de sa bonne santé et de sa mission toute neuve, qui est de veiller sur... moi ?